La pandémie de Covid-19 a mis l’accent sur la complexité de la génétique. Aujourd’hui, le fait que le génome mute, chez un virus ou chez l’homme, et ses conséquences sur la santé humaine ne sont plus uniquement connus d’un public de biologistes. Fondée en 2013, la biotech française Stilla Technologies est une entreprise européenne pionnière dans l’analyse génétique de précision. Elle a en effet mis au point un outil permettant d’automatiser la PCR digitale, un système d’analyse génétique qui détecte et quantifie les biomarqueurs génétiques, dont l’ADN et l’ARN, avec une extrême précision. Philippe Mourere, CEO et Rémi Dangla, CTO, nous en expliquent les enjeux.
Quelle est l’histoire de Stilla Technologies ?
Philippe Mourere : Stilla Technologies a dédié ses premières années à la Recherche et Développement. L’année 2016 a marqué un tournant, avec la commercialisation de notre premier naica® system, un outil dédié aux laboratoires de recherche en biologie moléculaire et en génétique. Depuis, nous nous consacrons à sa mise sur le marché et à l’accompagnement de nos clients. Cette expansion commerciale emmène l’entreprise vers une troisième phase de développement, durant laquelle nous offrons un portefeuille élargi de produits via une structure commerciale en croissance continue, touchant ainsi notre audience dans le monde entier.
Quels sont les enjeux de la PCR digitale ?
Rémi Dangla : La PCR digitale apporte aux chercheurs et aux médecins des informations clés. Elle offre un gain en sensibilité (soit la capacité à détecter une très faible quantité de biomarqueurs, caractéristiques mesurables et liées à un processus normal ou non) et en précision (soit la capacité à quantifier précisément la concentration d’un biomarqueur). Une application très prometteuse pour notre technologie est le suivi du cancer par prise de sang, ou biopsie liquide. Ici, un gain en sensibilité se traduit par la détection précoce d’une rechute. Une information primordiale pour les patients ! Grâce à ses gains de performance, la PCR digitale se déploie aujourd’hui rapidement dans de nombreuses applications : oncologie, contrôle des thérapies génétiques et thérapies cellulaires, surveillance du SARS-CoV-2 dans les eaux usées, identification des variants génétiques d’un virus…
Philippe Mourere : Les applications se trouvent aussi dans des marchés très différents, comme dans le domaine de l’industrie alimentaire, où les organismes génétiquement modifiés (OGM) permettent d’augmenter les rendements de production de manière significative. Or, les consommateurs et les autorités de régulation demandent que la présence de ces OGM soit finement identifiée dans les pays où ils sont autorisés. Les marchés appliquant des restrictions sur la présence d’OGM souhaitent aussi démontrer qu’il n’y en a pas, et pour ce faire, la PCR digitale est un excellent outil. Lorsque l’ADN est utilisé dans une visée thérapeutique et diagnostique, les technologies d’exploration doivent pouvoir supporter des analyses plus complexes, communément appelées analyses en multiplex. Elles permettent l’étude simultanée de multiples markers dans un même échantillon. L’expertise de Stilla Technologies démocratise cette approche en routine dans un environnement très simple à utiliser, le naica® system.
Comment fonctionne-t-il ?
Rémi Dangla : Le naica® system met en œuvre un procédé d’analyse génétique de précision, la PCR digitale en cristal de gouttes (Crystal Digital PCR™). Il permet de détecter et de quantifier très précisément un biomarqueur génétique d’intérêt. Il s’applique dans tous les domaines de la biologie et du diagnostic médical. Ce procédé comprend 3 étapes :
- L’étape de partitionnement : l’échantillon à analyser est divisé en dizaines de milliers de microgouttelettes, assemblées ensuite en nid d’abeille, notre fameux « cristal de gouttes ». C’est l’étape clé du procédé de PCR digitale. Elle isole les biomarqueurs d’intérêt les uns des autres, chacun dans une microgouttelette. Au départ, tout échantillon biologique est très complexe. Il contient toutes sortes de molécules génétiques et autres composés chimiques, ce qui rend très difficiles la recherche et l’analyse de biomarqueurs rares. En découpant l’échantillon en dizaine de milliers de microgouttelettes, on simplifie son analyse. Chaque gouttelette contient une portion beaucoup plus simple de l’échantillon initial. Au lieu d’avoir les milliers de molécules d’ADN différentes présentes au départ, on se retrouve ainsi avec une seule molécule par microgouttelette.
- L’étape de PCR : cette réaction chimique révèle la présence ou l’absence d’un biomarqueur d’intérêt au sein de la microgouttelette.
- L’étape de lecture : on vient mesurer un signal lumineux au sein de chaque gouttelette, pour quantifier le résultat de la réaction de PCR, et donc déceler la présence ou l’absence du biomarqueur au sein de la microgouttelette. Dès que l’on détecte un signal positif dans une microgouttelette, on détecte un biomarqueur dans l’échantillon, avec une grande sensibilité et précision.
L’ensemble du procédé est intégré au sein d’une cartouche à usage unique, une puce microfluidique qui concentre les innovations à l’origine de la société. Deux instruments automatisent le procédé, et un logiciel d’analyse de données s’appuie sur l’intelligence artificielle pour rendre un résultat facilement interprétable par nos utilisateurs.
En janvier 2021, vous avez présenté le premier instrument de PCR digitale à 6 couleurs. En quoi cette nouveauté est-elle innovante ?
Rémi Dangla : Stilla Technologies met en effet sur le marché une seconde génération de son système de PCR digitale, le naica® system. Ce nouveau système à 6 couleurs (ou 6 canaux de lecture) enrichit considérablement les analyses génétiques réalisées. Un canal de lecture permet de détecter 1 type de biomarqueur par analyse. Aujourd’hui, les analyses génétiques par PCR ne comportent qu’une ou deux couleurs. Les informations recueillies sont donc assez restreintes. Avec notre système de PCR digitale à 6 couleurs, nous cassons ce paradigme et ouvrons la voie à des analyses génétiques sensibles, précises ET riches. Nous pouvons détecter un grand nombre de biomarqueurs. Nous avons déjà démontré qu’en exploitant astucieusement les 6 couleurs, nous pouvons caractériser plus de 20 biomarqueurs. Dans le cadre du suivi d’un cancer, un simple test sur notre système permet alors de suivre toute une panoplie de biomarqueurs, indicatifs de l’évolution du cancer chez le patient suivi. Les médecins peuvent avoir ainsi une compréhension plus globale de la maladie.
Philippe Mourere : Ces dernières années, la recherche génétique n’a cessé d’identifier de nouvelles mutations de gènes. Nous comprenons mieux maintenant comment ces évènements se produisent, et leurs conséquences sur le monde du vivant. Pour en revenir à l’exemple du cancer du poumon, la combinaison de notre système 6 couleurs avec notre kit EGFR (dédié au suivi des mutations clés pour le cancer du poumon, en cours de finalisation) proposera par exemple un outil clé en main aux biologistes. Ils n’auront plus à se focaliser sur le développement des essais, mais à l’analyse des données obtenues avec notre kit.