Maître Pamela Robertiere est avocate au Barreau de Paris et de l’Eure. Dans cet article, elle revient pour nous sur les enjeux de sa matière : le droit du dommage corporel.
Avant toute chose, pouvez-vous nous parler de votre parcours d’avocate ?
J’ai prêté serment en décembre 2009 ! J’ai tout de suite commencé à travailler au cabinet lyonnais Arcadio, spécialisé en droit du dommage corporel. Je me suis ensuite installée à Paris, où j’ai conservé la même activité au sein du cabinet de l’ancien bâtonnier Farthouat. J’y suis restée deux ans, puis j’ai intégré un cabinet très réputé en droit du dommage corporel : le cabinet Bernfeld, dont Claudine Bernfeld est présidente de l’ANADAVI (Association Nationale des Avocats de Victimes de Dommages Corporels).
J’ai toujours défendu les victimes, et ces trois expériences ont été extrêmement formatrices ! C’est sous l’impulsion de Claudine Bernfeld que j’ai pu m’épanouir et mûrir dans cette matière.
En parallèle, j’ai obtenu trois autres diplômes : un diplôme universitaire (DU) en responsabilité médicale (université Paris-Descartes), un diplôme inter-universitaire dans l’évaluation des traumatisés crâniens chez les adultes (facultés de médecine de Versailles et de Bordeaux), et enfin un diplôme inter-universitaire dans l’évaluation des traumatisés crâniens chez les enfants et les bébés secoués (facultés de médecine Paris Sorbonne et Paris Cité).
Quelles sont vos autres activités ?
J’ai écrit des articles pour La Gazette du Palais, lors d’éditions consacrées au droit du dommage corporel. J’ai aussi obtenu en 2015 mon certificat de spécialisation en droit du dommage corporel. Ce certificat est très important d’un point de vue déontologique. En effet, un avocat ne peut pas se dire spécialisé dans une matière s’il n’est pas titulaire de la spécialisation en question.
Le certificat de spécialisation est délivré après une étude de dossier et un examen devant un jury, mis en place par le Conseil National des Barreaux. Il valide notre expertise et notre expérience dans un domaine spécifique. En parallèle, j’ai intégré l’ANADAVI en 2015. Rejoindre cette association est aussi un gage d’expertise. Elle admet seulement les avocats sur dossier, et surtout titulaires du certificat de spécialisation.
Dans la continuité, j’ai ouvert mon propre cabinet à Paris en 2016, puis mon cabinet secondaire en Normandie (Eure, ressort Cour d’appel de Rouen) en septembre 2021. Aujourd’hui, j’interviens régulièrement dans la formation de confrères et d’étudiants. Je participe par exemple à des colloques organisés par la Cour de cassation. J’enseigne aussi au DU Droit de la Réparation du Dommage Corporel à la Sorbonne, au Master 2 Droit du dommage corporel à l’université de Chambéry, et au DU Victimilogie de Paris-Descartes. J’ai même participé à la création d’un DU à la Sorbonne, consacré à l’Expertise de santé pluriprofessionnelle.
En tant qu’avocate spécialisée en droit du dommage corporel, quel est votre cheval de bataille ?
Je travaille beaucoup sur les notions de douleur et d’usage de la fonction du corps dans son intégralité. Prenons l’exemple d’une victime qui souffre de douleurs au genou à cause d’une fracture. Selon moi, il ne suffit pas de lui demander de plier et de déplier son genou pour mesurer l’ampleur du dommage corporel. Je prends en compte l’usage de cette fonction, l’endurance, la répétition du mouvement et l’impact de la douleur au quotidien. Autant de facteurs qui doivent être appréhendés par des bilans fonctionnels de kinésithérapeutes. Le principe du droit du dommage corporel est de replacer la victime dans la situation où elle était avant l’évènement traumatique en ce compris l’usage de sa fonction.
Or aujourd’hui, cette évaluation de l’usage de la fonction est totalement absente du champ de l’expertise. Je travaille beaucoup pour intégrer cette réflexion au moment de l’expertise. Le but étant d’aller au plus près possible de l’évaluation concrète et individuelle du préjudice de la victime.
Travaillez-vous avec un défi particulier ?
Le principal défi repose dans l’objectif à atteindre : l’indemnisation des préjudices liés à l’atteinte corporelle. La première étape, c’est bien sûr le droit à indemnisation. Il est commun de penser que le droit du dommage corporel touche uniquement les accidents de la voie publique. Or, cette matière englobe bien d’autres situations : la responsabilité médicale, les victimes d’attentats, les victimes d’accidents de la vie, les agressions, les morsures d’animaux, les accidents du sport…
La deuxième étape, c’est l’indemnisation. L’enjeu est de tendre vers une indemnisation individuelle et intégrale. Elle passe au préalable par l’expertise médicale. Bien souvent, toutes les doléances de la victime ne sont pas suffisamment intégrées lors de l’évaluation de son préjudice. Elles sont seulement déclaratives. D’où l’importance d’un bilan fonctionnel, comme indiqué plus haut. Après une blessure au pied par exemple, la marche de la victime doit être testée. Il faut appréhender son endurance et bilanter sa douleur, pour en tirer toutes les conséquences médico-légales.
En somme, l’indemnisation est un défi, car elle pousse à une réflexion permanente sur cette évaluation individuelle. Le rapport d’expertise n’a beau être qu’indicatif, il reste très important, puisque c’est de lui que découlent les données médico-légales, et donc le chiffrage du préjudice de la victime.
Quel accompagnement offrez-vous à vos clients et leurs familles ?
Il est le plus humain et technique possible ! J’organise beaucoup d’entretiens avec mes clients pour découvrir qui ils étaient avant l’accident, qui ils sont aujourd’hui, et ce qu’ils souhaitent pour leur futur. Mon but est notamment de les aider à construire leur projet de vie avec leur handicap. Pour m’y aider, je travaille en synergie avec différents partenaires au regard des particularités qu’imposent chaque handicap (tétraplégie, paraplégie, traumatisme crânien, amputation …) : des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des neuropsychologues, des médecins spécialisés dans les troubles somatiques, un architecte, une assistante sociale…
En conclusion, quel bilan tirez-vous aujourd’hui du droit du dommage corporel ?
C’est une matière où chaque avancée est très subtile. C’est le cas du désœuvrement social. Jusqu’à présent, la Cour de cassation estimait que si la victime avait été indemnisée de ses pertes de gains (c’est-à-dire de ses revenus), alors elle ne pouvait pas être indemnisée de la perte de son identité sociale du fait d’avoir été exclue du monde du travail suite à une inaptitude professionnelle. Pourtant, le travail est bien un marqueur social. Il nous donne notre place dans la société.
Récemment, la Cour de cassation est revenue sur sa décision et a retenu cette notion de désœuvrement social. Cette indemnisation est une vraie avancée pour les victimes, isolées chez elles.
En conclusion, le droit du dommage corporel est une matière avec une technicité importante, notamment pour l’expertise médico-légale et le chiffrage. Il ne suffit pas de faire preuve d’empathie, d’écoute et de patience envers les victimes. Il faut avoir en parallèle une lecture très attentive de l’évolution de jurisprudences, de l’économie, de l’inflation… Et si le cas d’une victime ne rentre dans aucune case, alors l’avocat se doit d’argumenter pour faire reconnaître son histoire. L’objectif est toujours d’aider une victime individuelle à obtenir une indemnisation intégrale de son préjudice, c’est-à-dire la replacer dans la situation dans laquelle elle aurait dû être sans l’accident.