La Loi Sapin 2 a instauré pour les entreprises françaises l’obligation de procéder à une évaluation de leurs cocontractants. Certes, le texte n’impose pas stricto sensu l’évaluation d’une société cible ou d’un partenaire en amont d’une acquisition ou autre opération de M&A, telle qu’une Joint Venture par exemple. Il est toutefois hautement recommandé de s’y astreindre au regard des risques financiers, juridiques et opérationnels qu’une violation des règles de compliance par une cible ou un partenaire peut engendrer pour un acquéreur.  De plus, le guide publié récemment par l’AFA sur les opérations de fusions-acquisitions montre que les autorités de poursuite s’intéressent de plus en plus à ces opérations. Ces risques peuvent et doivent ainsi être anticipés et évités comme le rappellent Ermine Bolot (associée M&A) et Jacques Sivignon (associé Contentieux) du cabinet d’avocats Dechert.

 

La compliance concernant les opérations de M&A, ça parle aux entreprises françaises ?

Ermine Bolot : Les groupes qui interviennent depuis longtemps sur les marchés internationaux et ont, notamment, une exposition forte au marché américain (ou autres pays, comme le Royaume-Uni) sont au fait de ces sujets depuis longtemps. D’autres groupes s’y sont mis plus récemment. Toutefois, il nous arrive encore de devoir insister pour qu’une due diligence compliance soit menée avant une opération de M&A.

Jacques Sivignon : Nous constatons que les entreprises sont de plus en plus sensibles à ces problématiques. La loi Sapin 2 y est pour beaucoup. Dans le cadre de la mise en place des dispositifs de conformité prévus par cette loi, il faut établir une cartographie des risques qui doit intégrer les opérations de croissance externe.

 

A quel moment d’une opération, la mécanique de la compliance doit-elle être enclenchée ?

E.B. : Il faut s’en préoccuper le plus en amont possible, notamment parce que la compliance peut prendre du temps. Pour cela, il faut sortir des pratiques habituelles des audits juridiques et financiers qui sont généralement réalisés uniquement sur une base documentaire. En compliance, tout doute doit mener à des analyses et des recherches beaucoup plus approfondies concernant la cible et/ou le partenaire potentiel dans le cas d’une Joint Venture, y compris via des échanges spécifiques avec le management voire des enquêtes sur place. Au regard des enjeux, il est difficilement envisageable d’être dans la situation de devoir signer un contrat d’acquisition sans avoir le résultat des enquêtes. Il faut donc s’intéresser aux questions de compliance le plus en amont possible. De plus en plus de groupes travaillent d’ailleurs sur leurs procédures internes de compliance spécifiques aux opérations de M&A pour être bien sûr que les équipes se parlent sur ce sujet-là le plus tôt possible.

J.S. : Les recherches effectuées dans le cadre d’un audit compliance peuvent effectivement aller jusqu’à des enquêtes sur place dans des pays géographiquement éloignés. Elles sont donc chronophages et rentrent difficilement dans le calendrier habituellement « serré » d’une opération d’acquisition, notamment quand elle s’inscrit dans un processus compétitif. Les intervenants pour de tels audits ne sont d’ailleurs pas les mêmes, certains étant d’ailleurs mieux outillés que d’autres selon les pays concernés.  La compliance doit être, en effet, abordée sous l’angle juridique (audit des procédures de la cible, questionnement spécifique du management, etc.) mais pas uniquement. 

 

Quels sont les risques encourus par l’acquéreur en cas de défaut d’audit de compliance ?

J.S. : Le premier risque concerne bien évidemment la réputation de l’acquéreur. Si, aujourd’hui, vous rachetez une société dont les dirigeants se sont rendus coupables avant l’acquisition de faits de corruption, vous n’êtes pas pénalement responsables pour ces faits selon la loi française. A noter toutefois qu’il n’en est pas ainsi aux États-Unis où l’acquéreur peut dans certains cas être tenu responsable en l’absence de due diligence et s’il n’a pas informé les autorités en cas de découverte de faits de corruption au sein de la cible. Reste qu’il est certain que cela va venir affecter votre réputation et que vous aurez à gérer cette problématique par la suite. De plus, votre responsabilité sera accrue si des pratiques répréhensibles passées se poursuivent après l’acquisition. Il faudra donc y mettre fin et prendre les mesures qui s’imposent contre les personnes concernées. Enfin, que ce soit en application du droit français ou de droits étrangers, le montant des amendes peut être colossal.

E.B. : Concrètement, si après l’acquisition l’on prend connaissance de faits délictueux, comme des faits de corruption pour que la cible bénéficie d’un contrat ou obtienne une licence, il faudra aussi résilier le contrat en question, voire « rendre » la licence. Les risques financiers vont donc bien plus loin que la seule amende puisque, dans certains cas, cela peut aboutir à la perte d’une bonne partie, voire de l’intégralité du business.

 

Au-delà de la due diligence compliance, à quoi faut-il être attentif ?

E.B. : Une fois la documentation M&A signée, le risque compliance doit aussi être géré dans la durée, que ce soit lorsque la période entre le signing et le closing est longue ou dans le cadre d’une Joint Venture qui par définition s’inscrit sur le long terme.  Une fois l’audit réalisé, nos équipes M&A et Contentieux continuent ainsi à collaborer pour prévoir contractuellement divers mécanismes de protection pouvant aller jusqu’à la résiliation d’une opération d’acquisition ou à la sortie d’une Joint Venture selon des mécanismes différents de ceux existants de façon classique pour anticiper les éventuelles mésententes entre partenaires. 

J.S. : Il s’agit donc de bien évaluer l’étendue du risque afin de le gérer contractuellement le mieux possible, le circonscrire, voire de l’éviter. Ce ne sont d’ailleurs pas toujours des discussions faciles lorsque les futurs partenaires ne sont pas soumis aux mêmes règles de compliance.