Le bio a le vent en poupe mais certaines tensions s’intensifient. La pression de la demande face à l’offre, l’avidité des grands groupes attirés par la croissance soutenue et le fort potentiel de développement de ce marché… Dans ce contexte, Alexandre Fernez, fondateur et manageur de Bio ingrédients Sarl défend une vision différente du commerce d’aliments certifiés bio et invite les entreprises du domaine à conserver les valeurs de qualité et de conscience écologique qui ont servi de terreau au développement de ce marché. Il nous livre sa vision d’un business éthique et possible.
Quel est le défi du bio face à son succès ?
Alexandre Fernez : Le challenge aujourd’hui est de continuer à se développer tout en conservant les valeurs qui ont fait le succès de ce marché. Depuis déjà plusieurs années, les groupes financiers voient le bio comme le seul marché encore en progression. L’agriculture conventionnelle et la distribution sont en déclin, leur modèle est usé. Désormais, ils nous regardent avec envie et opèrent une sorte d’OPA généralisée sur les entreprises bio indépendantes qui avaient construit une belle histoire. Sous cette pression, même les distributeurs historiques adoptent peu à peu, les codes et les techniques du marché ‘conventionnel’. Les investissements intensifs et les opérations de fusion-acquisition poussent inexorablement le secteur vers le ‘business-as-usual’. Le risque est de voir absorber notre modèle vertueux par les grands groupes avec un modèle de prix cassés et des valeurs basées majoritairement sur la rentabilité financière à tout prix, au détriment de la qualité et de la conscience écologique.
La politique sans fin du « moins cher que moins cher » qui anime le marché alimentaire classique ne peut s’accommoder des contraintes propres à l’agriculture biologique, c’est irréconciliable.
Sans aucun doute le plus grand défi pour notre domaine d’activité sera de se donner les moyens de produire suffisamment de nourriture bio pour fournir la demande, sans atteindre à l’intégrité des modes de production en agriculture biologique certifiée.
L’offre va-t-elle arriver à suivre la demande ?
Alexandre Fernez : Il existe un décalage inévitable entre la demande d’aliments bio qui explose et l’offre limitée par la capacité actuelle de production en bio. Nous ne sommes par sur le même temps. Pour convertir une exploitation vers l’agriculture biologique, il faut compter une période de transition de 3 à 5 ans pour adapter les méthodes, les savoir-faire, tout réapprendre… Sans parler du sol. Reconstruire l’humus d’un sol qui a été surexploité, stérilisé par les produits chimiques prend 20 ans. Nous avons observé cela dans nos projets autour de la canne à sucre. Sans compter le temps nécessaire à la nature, cinq années de bons soins sont nécessaires pour qu’un amandier nouvellement planté produise des fruits.
Il existe donc un énorme décalage entre le temps long agricole et le temps des financiers où le gain se fait à la micro-seconde près sur les places de marché électroniques.
Lorsqu’à ce phénomène s’ajoute la mainmise des financiers sur le marché du bio, on peut imaginer la pression économique que les gros groupes vont exercer sur les producteurs, et les possibles dérives à venir…
Quelle a été votre motivation à vous engager dans le bio ?
Alexandre Fernez : Ce qui m’anime depuis toujours en temps qu’importateur de produits bio, c’est le respect de la terre. Je me suis engagé dans le bio dans l’espoir de participer activement à réduire la masse de poisons chimiques déversée dans la nature. J’avais à cœur de m’engager dans un secteur éthique, de me tourner vers quelque chose de positif. C’est pour cela que je suis devenu négociant de matière première alimentaire biologique
Notre démarche est centrée sur la terre et la manière de la cultiver. Nous refusons que les produits chimiques détruisent l’humus, les êtres et les plantes qui y vivent, puis insectes, oiseaux, et vie aquatique… J’ai lu que dans certaines zones tropicales, le pelage de certains singes hurleurs change de couleur à cause des résidus de pesticides, toute la planète est touchée. En protégeant le sol, on protège toute la vie autour. Selon nous, la démarche bio c’est se préoccuper de l’état de la planète que nous laisserons aux générations futures. C’est pourquoi nous distribuons des aliments sains, respectueux à la fois des gens qui les consomment et de l’environnement naturel dans lequel ils sont produits.
A l’époque nous allions à contre-courant et nous avions raison. Mais le combat écologique reste immense, car en 1996, quand j’ai commencé, si on m’avait dit que plus de 50 % des insectes auraient disparus 25 ans plus tard, on peut se demander si j’aurais eu la volonté de m’engager dans cette voie ! Plus que jamais, il faut pourtant continuer à défendre les valeurs qui nous sont chères. Auparavant nous étions vus comme des pionniers idéalistes, aujourd’hui, on envie notre réussite. Depuis une dizaine d’années maintenant le marché des aliments bio enregistre une croissance exponentielle de 10 à 15% annuel. C’est un des rares secteurs à présenter une telle progression sur le long terme.
Quelles sont les valeurs de votre entreprise ?
Alexandre Fernez : Depuis 25 ans, nous sommes sur le terrain, nous visitons les unités de production pour créer des relations humaines de confiance, de personne à personne. Pour nous, c’est d’abord la valeur des individus qui est importante dans les affaires. Le bon business, c’est celui qui s’inscrit dans la durée, dans la confiance mutuelle.
Nous sommes une entreprise responsable et engagée sur le long terme, dont la conviction est que la terre appartient aux générations futures dont l’héritage se doit d’être préservé.
Nous analysons systématiquement chaque lot de marchandise mis sur le marché même s’ils possèdent déjà des certifications.
Nous souhaitons garantir à nos clients que tout est mis en œuvre pour protéger leurs consommateurs des résidus chimiques, métaux lourds, résidus de combustion, bactéries pathogènes etc.
Notre entreprise est gérée comme le font les parents soucieux du bien-être et de l’avenir de leurs proches. Nous considérons comme un devoir le fait de nous impliquer socialement dans la société en proposant par exemple une carrière stable et enrichissante à de jeunes diplômés qui se retrouvent dans notre combat pour un monde plus écologique.
Le message que je veux faire passer aux jeunes entrepreneurs, c’est que dans le business on n’est pas obligé d’être cynique, il faut croire en son projet, faire confiance à ses convictions. Je voudrais montrer que la protection de l’environnement peut aller de pair avec le développement économique.