EcoAct (rattachée au groupe Atos depuis 2020) est une société de conseil et de développement de projets, qui accompagne les entreprises, les territoires et les organisations dans la réalisation de leur ambition climatique. Sa mission : les aider à atteindre zéro émission nette et à se transformer positivement face au changement climatique. Le 25 octobre 2021, EcoAct publie son étude annuelle sur les stratégies climatiques de certaines des plus grandes sociétés au monde. Le but est d’analyser leur manière d’aborder les enjeux liés au climat et leur communication sur leurs objectifs et réalisations. Magdalena Jouenne-Mazurek (Marketing & Communications Manager chez EcoAct, société du groupe Atos) et Émilie Alberola (directrice EcoAct Europe du Sud) reviennent pour nous sur la réalisation et les résultats de ce rapport.
En quoi consiste votre étude ?
Magdalena Jouenne-Mazurek : L’étude offre une vision des meilleures pratiques et des efforts à fournir par les grandes entreprises afin de réussir leur transition bas-carbone pour viser l’objectif de zéro émission nette. Cet état des lieux passe au crible les progrès réalisés, mais aussi les écarts qu’il est urgent de combler. L’objectif étant d’inciter les entreprises à la transparence concernant leur gestion des émissions de gaz à effet de serre et leur stratégie en faveur du climat. De la sorte, EcoAct encourage les entreprises à communiquer de façon claire et exhaustive sur leurs objectifs et progrès, ainsi que sur leurs impacts environnementaux.
L’étude englobe depuis 11 ans les entreprises de l’indice FTSE 100 au Royaume-Uni. Nous incluons également depuis 4 ans l’indice DOW 30 aux États-Unis. Nous avons introduit pour la première fois cette année l’indice boursier européen STOXX 50 pour renforcer une dimension internationale et européenne, en remplacement des indices français et espagnol CAC 40 et IBEX 35.
Comment définissez-vous la performance en matière de reporting climat ?
Émilie Alberola : Nous évaluons les actions des entreprises dans la lutte contre le dérèglement climatique. Notre étude se concentre sur 4 domaines clés et met en lumière les meilleures pratiques et le niveau de performances dans ces domaines : reporting des émissions, ambitions et objectifs de réduction des émissions, gouvernance et plan d’action, et enfin réalisations en matière de réduction et de compensation carbone.
Selon quelle méthodologie ?
E.A. : Des points sont attribués aux entreprises, selon 28 critères répartis parmi les 4 domaines cités plus haut. Les entreprises peuvent ainsi obtenir un maximum de 61 points, et leurs résultats sont ensuite retranscrits en pourcentage. Les scores des entreprises sont établis à l’issue d’une évaluation des informations présentes dans leur dernier rapport annuel et tout autre document de référence portant sur le climat. EcoAct veille à évaluer les actions qui portent sur l’ensemble de leur chaîne de valeur.
Nos critères sont aussi déterminés en fonction des dernières connaissances scientifiques, qui indiquent qu’il faut limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C à l’horizon 2100. Cette urgence implique un niveau de zéro émission nette avant 2050. Les entreprises qui accumulent le plus de points sont celles qui, d’un côté se sont engagées à atteindre ce but, avec des objectifs de réduction clairement définis en accord avec la trajectoire 1,5 ° C, à court, moyen et long termes, et de l’autre, qui sont capables de démontrer leurs progrès en ce sens.
Outre l’introduction de l’indice européen, avez-vous mis en place des nouveautés cette année ?
M.J-M. : Cette année, nous avons mis davantage l’accent sur les réductions d’émissions réalisées et le recours à des audits externes. Nous avons également pris en compte les réponses des entreprises aux questionnaires du CDP pour obtenir la vision la plus complète possible de l’action climatique, et en particulier de la réduction d’émissions effectivement réalisée. Le CDP est une organisation proposant une base de données de référence relative aux actions climatiques ou environnementales. À la notion de reporting s’ajoute donc celle de performance. En prenant en compte la réalisation, nous pouvons évaluer les performances en matière de réduction et de compensation carbone volontaire, pour estimer l’efficacité d’une stratégie climat et d’innovation.
En parallèle, un accent plus fort est mis le scope 3, c’est-à-dire sur les émissions de gaz à effet de serre indirectes, car non liées à la fabrication du produit, mais à son cycle de vie (approvisionnement, transport, utilisation, fin de vie, etc.). Il s’agit bien souvent de la partie la plus importante des émissions d’une entreprise. Pour déterminer avec plus de précision si les émissions significatives sont bien couvertes par le calcul d’empreinte carbone et fournir ainsi la notation la plus juste possible, nous avons appliqué une pondération du reporting des émissions directes et indirectes en accord avec leur répartition réelle, spécifique au secteur de l’entreprise.
Quelles grandes tendances identifiez-vous dans ce rapport ?
E.A. : La première tendance forte révélée par l’étude dans l’ensemble des indices boursiers examinés est la part élevée du nombre d’entreprises engagées vers zéro émission nette : 65,7 %.
En revanche, l’analyse révèle qu’un engagement fort en faveur de zéro émission nette n’a pas été suivi par des objectifs associés de réduction et de séquestration des émissions de GES à long terme. Sur l’ensemble des indices, seulement 19 % des entreprises fixent des objectifs de réduction des émissions de long terme associées à la stratégie zéro émission nette.
Ainsi, il est impératif que les entreprises étoffent leurs engagements vers zéro émission nette avec des objectifs de réduction scientifiques à moyen terme (par exemple tels que définis par la SBTi), mais aussi à long terme, et ce sur le périmètre complet d’émissions.
Si 65 % des entreprises se sont fixé un objectif fondé sur les données scientifiques, appelé SBT sur les scopes 1 et 2 (émissions directes et émissions indirectes, liées aux consommations énergétiques), seulement 37 % des entreprises ont fixé un SBT sur le périmètre complet.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’application des entreprises en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
M.J M : On peut citer le « Zero Carbon Project » de Schneider Electric, qui s’est engagé à intégrer ses fournisseurs existants dans l’atteinte de son objectif zéro émission nette. D’ici à 2025, le groupe vise une première étape de réduction en incitant 1 000 fournisseurs, représentant plus de 70 % des émissions du groupe, à réduire leurs émissions de 50 %.
Kering a initié en 2013 le Materials Innovation Lab afin de travailler main dans la main avec ses fournisseurs pour encourager la traçabilité des textiles et un sourcing plus durable avec un impact climat amoindri. Cela lui a permis en 2020 de remplacer plus de 800 matières premières par des alternatives durables.
Quid de leurs performances climatiques ?
E.A. : En matière de réduction d’émissions de scope 1 et 2, 74 % des entreprises examinées ont réduit leurs émissions de plus de 4,2 % en 2020 par rapport à 2019, conformément à un scénario de 1,5 °C. Cependant, nous supposons que ces résultats ont été affectés par la pandémie de COVID-19. La question est de savoir si cette trajectoire va se confirmer en 2021 et 2022 dans un contexte de reprise économique.
La réduction des émissions du scope 3 constitue la bête noire des entreprises. En effet, seules 22 % des entreprises ont réduit leurs émissions de scope 3 de plus de 4,2 %, contre 74 % pour les scopes 1 et 2. 32 % des entreprises n’ont déclaré aucune donnée comparable relative au scope 3, et 28 % ont démontré une réduction des émissions, mais avec des rapports particulièrement incomplets.
Comment se classe la France en Europe et dans le monde ?
E.A. : Les sociétés européennes du STOXX 50 obtiennent les meilleurs résultats dans chacun des 4 domaines d’évaluation. Par exemple, la comparaison des indices en matière de réductions d’émissions de scope 3 montre que les entreprises de l’indice européen sont nettement plus performantes, avec 34 % réduisant les émissions conformément à l’objectif de 1,5 °C par rapport au FTSE et au DOW, qui affichent 17 %.
Les sociétés du STOXX ouvrent aussi la voie avec 86 % des entreprises alignées sur la TCFD (contre 77 % pour le FTSE et 70 % pour le DOW).
Parmi les 178 entreprises analysées, 17 sont françaises (en incluant Airbus, le groupe détenu par les États français, allemand et espagnol), soit un tiers de l’EURO STOXX 50. Elles ont obtenu un score moyen de 62,3 % les plaçant au-dessus de la moyenne de l’EURO STOXX 50 située à 58,9 %, ainsi que de la moyenne globale qui est de 53,2 %. La quasi-totalité, soit 94 %, des entreprises françaises de l’EURO STOXX 50 sont désormais alignées sur la TCFD.
Les entreprises françaises sont les plus nombreuses à être engagées en faveur de zéro émission nette, mais seules 12 % fixent des objectifs de réduction des émissions de long terme.
Le meilleur élève pour fixer ses objectifs de réduction sur le périmètre complet est aussi le premier du classement français et européen : Schneider Electric. En effet, Schneider Electric a aligné ses réductions d’émissions sur une trajectoire de 1,5 °C, et ce, sur l’ensemble de ses émissions directes et indirectes.
Quelles conclusions tirez-vous de ce rapport en matière de reporting climat ?
M.J-M. : Communiquer son engagement et ses performances en faveur du climat est devenu une pratique courante. La pandémie n’a pas eu d’incidence sur la volonté d’engagement, puisque l’engagement des entreprises à atteindre zéro émission nette s’est accru. La tendance était déjà à la hausse lors des éditions précédentes ! De plus en plus d’entreprises se fixent des objectifs de réduction d’émissions, alignés sur les recommandations scientifiques. De nombreuses sociétés ont également démontré la robustesse de leur engagement, en faisant valider leurs objectifs par l’initiative Science-Based Targets.
Toutefois, les entreprises doivent démontrer une vision et une stratégie à long terme vers zéro émission nette, et concentrer leurs efforts notamment sur la réduction absolue des émissions du scope 3. Seulement 22 % ont réduit leurs émissions sur ce périmètre, conformément à l’objectif de 1,5 °C, contre 74 % pour les scopes 1 et 2. Sans oublier l’objectif de séquestration du CO2, indispensable pour viser zéro émission nette.
L’introduction de l’indice boursier européen STOXX 50 a été révélatrice, puisqu’il a surclassé dans toutes les catégories les autres indices analysés. Les entreprises françaises ont quant à elles partagé de beaux progrès, notamment concernant les réductions d’émissions du scope 1 et 2 réalisées en accord avec une trajectoire de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C. Elles doivent néanmoins redoubler d’efforts pour le scope 3 et réaffirmer leur alignement avec le scénario scientifique fixé pour 2050 : limiter le réchauffement climatique à + 1,5 °C sur le périmètre complet.
À l’étranger, les sociétés britanniques et notamment américaines dominent toutefois le top 5 des meilleures entreprises dans notre classement général, avec Microsoft en tête.