Vision et contraintes peuvent être les deux faces d’une même médaille. Les contraintes conduisent-elles à l’innovation ? par Sasson Jamshidi, Manager produit au sein du bureau Chief Innovation Office de ServiceNow.
« Voici le vrai problème de l’humanité : nous avons des émotions paléolithiques, des institutions médiévales et une technologie divine. » — E.O. Wilson (biologiste, entomologiste et myrmécologue -fondateur de la sociobiologie)
Si vous vous adressez à quelqu’un qui travaille dans la technologie, il vous dira qu’il n’y a rien de plus excitant que d’envisager l’émergence d’une nouvelle technologie. Pourtant, pendant les décennies passées en tant qu’architecte solutions, à concevoir des implémentations technologiques pour des entreprises différentes dans le monde entier, j’ai pu observer une lacune que beaucoup ont négligée : discuter de la limite des technologies nous rend mal à l’aise.
Des contraintes peuvent émerger les innovations les plus chatoyantes et créatives.
Les équipes les plus innovantes n’envisagent pas seulement le possible ; ils envisagent aussi les contraintes. Pour sortir des sentiers battus, nous devons d’abord examiner attentivement le sentier en question.
Se limiter
Prenons un exemple. Une équipe doit fournir une nouvelle solution à un client. Au fur et à mesure de la réflexion, les idées affluent. L’accent est mis sur la pensée positive : que pouvons-nous accomplir ? Qu’est-ce qui est possible ?
Après un brainstorming et une planification, l’équipe d’ingénierie est chargée de construire la solution. Les équipes marketing, commerciales et commerciales continuent de parler de vision et de possibilité. Lorsque la solution est livrée au client, l’équipe met en avant ce que la technologie peut faire, et non sur ce qu’elle ne peut pas faire. C’est ainsi que la plupart des entreprises créent de nouveaux produits et solutions, mais cette approche passe à côté de quelque chose de fondamental en matière d’innovation.
Les contraintes sont bonnes pour la créativité. Cela semble contre-intuitif, mais des études valident cette idée.En 2019, des chercheurs ont publié un article sur les équipes qui ont réussi parce qu’elles se sont imposées de faire face aux contraintes plutôt que d’essayer de les contourner. Voici un exemple étonnant : GE a missionné une équipe pour développer un appareil ECG portable afin de fournir des soins de santé aux communautés rurales. Les contraintes étaient non négligeables : un délai de seulement 18 mois et un budget limité de 500 000 $. Ils ont développé la technologie. La principale raison avancée pour son succès est, selon l’équipe, les contraintes qui les ont poussés à travailler plus efficacement. Cela doit être la règle, pas l’exception.L’année dernière, un autre couple de chercheurs a précisé les types de contraintes utiles. Il ne s’agit pas de budget et de risque– qui sont les plus courantes – mais plutôt des contraintes de résultat et de temps. Autrement dit, c’est « à quoi ressemblera le produit final » et « en combien de temps le développer ». Les chercheurs recommandent d’envisager, voire d’imposer, des contraintes le plus tôt possible dans le projet.Alors pourquoi encore des échecs ? Qu’est ce qui nous empêche de regarder les limites avant d’envisager de voir au-delà des lignes ?
La pierre de Rosette de l’innovation
Nous sommes enclins à aborder les projets positivement en espérant le succès. C’est normal. Il est difficile de parler de ce qui peut mal se passer. De toute façon, c’est toujours plus agréable et c’est excitant d’envisager la réussite. Personne n’a envie d’annoncer à son client que sa technologie ne peut pas tout faire. Personne ne veut dire à son patron ou à ses coéquipiers qu’un produit peut tomber en panne. C’est encore plus vrai en ce moment. Même si nous continuons à lutter contre les retombées de la pandémie, nos dirigeants réfléchissent à leurs prochains choix. L’implémentation de nouveaux produits et de nouveaux services est considérée risquée. Dans un environnement incertain, personne ne désire être celui qui prend la parole pour dire : « Un échec est possible. Pourtant je suis convaincu qu’il faut que nous fassions cela. » Nous ne prenons pas la parole de cette façon car après le brainstorming, les échanges se déroulent en silos. Pendant que les ingénieurs pensent aux écrous et aux boulons, le reste de l’équipe se concentre sur sa vision. Nous partons du principe que les techniciens parlent leur propre langue et que les hommes d’affaires en parlent une autre. Encore pire, nous supposons que les deux sont mutuellement intelligibles. Donc, à la seconde où les équipes commencent à parler de vision, elles le font sans les techniciens.Je l’ai moi-même entendu : « Oh, vous écrivez du code ? tout ce que tu dis est donc un simple discours d’ingénieur. » Ou « Si vous comprenez comment le code fonctionne, vous ne pouvez pas comprendre l’analyse de rentabilité. »Mais la vision et la contrainte sont les deux faces d’une même médaille.Nos clients vivent dans une réalité immédiate, pas dans celle de demain quand ils auront entre les mains notre incroyable produit. Lorsque nous parlons de contraintes et de limites dans le cadre de notre vision, nous parlons en fait de là où nos clients sont aujourd’hui, pas seulement là où ils veulent être. Cela nous aide à nous connecter à leurs problèmes actuels et à leurs cas d’utilisation, et non à ce que nous espérons qu’ils sont ou à ce que nous supposons qu’ils pourraient être.
Les entreprises et les équipes ne peuvent pas créer à moins de négocier avec les technologies de pointe.
Bonne nouvelle : ce type de comportement est identifiable, ce qui signifie que nous pouvons le changer avant qu’il ne façonne durablement nos cultures, nos organisations et nos technologies. Concrètement, il s’agit de faire disparaître le faux clivage entre l’univers technique et le monde de l’entreprise. Les équipes non techniques doivent intégrer des personnes techniques à toutes les étapes de la réflexion, avec le service commercial, le marketing et le service clients. Les techniciens doivent présenter sans fard les limites de notre technologie.Beaucoup craignent que l’énoncé de ces limites, bloque la créativité avant qu’elle ne puisse commencer à s’épanouir. Mais c’est une mauvaise façon d’y réfléchir. Les services et les équipes ne peuvent pas créer de nouveaux produits à moins de négocier avec les technologies de pointe. Travailler sur le fil, c’est lutter ouvertement avec les contraintes. L’innovation est impossible sans elles.