Parce que c’est une agence d’architecture et de design, c’est d’abord un rapport bien spécifique au monde. Parce que c’est un atelier, c’est aussi un rapport direct à l’homme.
Retour aux classiques : de Jean Nouvel à Jean Gabin
C’est un nom simple et ambitieux à la fois. Atelier Parisien. Ça sent l’artisanat et le prestige. On y fait des choses avec les mains, on laisse traîner son crayon, on cherche dans les livres, on puise dans les vieux films, on dessine sur des bouts de papier et sur les murs.
À l’image de Paris, on y est élégant, art déco, haussmannien. On aime être un atelier d’architecture et de design. Ce sont là deux termes importants, et deux idées graves. On y est pourtant allègre. On sait vivre et on croit aux pouvoirs du lieu. De l’espace qui fait vivre les autres. À sa tête, Anthony Fournier-Baïxas. Latin, brun, tatoué, une voix appuyée, un franc parlé.
Formation à l’École spéciale d’architecture de Paris et à l’Université Belgrano de Buenos Aires, et jusqu’en 2014, 12 ans de pratique en tant qu’associé dans une agence d’architecture dédiée à la promotion, 12 ans de projets, 12 ans aux côtés de célébrités du milieu dont il a retenu le talent et les différentes personnalités en travaillant à leurs côtés. Il aura côtoyé Jean Nouvel, Rudy Ricciotti, Paul Chemetov ou encore Claude Parent.
Il a aussi croisé toute une troupe d’héritiers du métier, dont il retient le cynisme et les autocélébrations plutôt que le génie : « Au troisième projet, ils s’écrivent (eux-mêmes) une autobiographie… Ils se congratulent entre eux et s’autoproclament poètes et visionnaires. Une étrange course à la reconnaissance… ».
Il a trimé, Anthony, il a morflé pour atteindre sa manière actuelle. Il croit peu en l’autodidacte, même s’il y en a de très doués. Mais il croit en l’apprentissage. C’est que pour lui, on ne plaisante pas avec ce métier. Il a ses subtilités, son histoire changeante, ses libertés, mais il a aussi ses traditions, ses codes et son équilibre. Une exigence folle. Pour avancer, Anthony a « laissé sa peau sur la table », comme disait Céline, il a traversé le doute, il a cherché ses points d’appuis. Il n’a pas dormi. Conviction de l’époque : un projet trouve sa valeur dans la douleur qui l’accompagne. La souffrance comme un marqueur.
C’est avec tout cela qu’il fallait en finir, avec ce voyage au bout du drame, où les acteurs surjouent un peu sottement. Finir avec le « je », avec le nom glorieux de l’architecte derrière lequel tout est pâleur. Plutôt revenir à l’humilité des grands. De Jean Nouvel, à Jean-Paul Belmondo et Jean Gabin. Retrouver ceux qui racontent des histoires immortelles, celles de son enfance, celles qui l’ont forgées, loin des prétentieux et des réseaux sociaux qu’il déteste et qui ne brassent que du vent…
Et c’est ainsi qu’il prit son envol. 2015, L’atelier est né.
L’histoire de l’homme est aussi une matière
L’Atelier Parisien. Au centre de Paris, 4 mètres de hauteur sous plafond, des livres d’art et des œuvres de différents artistes partout. Une douzaine de collaborateurs ou associés. Tous libres. Tous impliqués jusqu’au vertige, et pourtant il n’y a pas d’horaires. Et pas question que ceux qui bossent jour et nuit soient écrasés sous le nom d’Anthony Fournier-Baïxas. On dira « nous ». Et, effectivement, évoquant les projets de l’agence, il dit « nous ». Qui fait quoi ? Nous ne le saurons pas. Anthony préfère deviser autour de l’esprit entretenu. Ce passionné de vitesse et de mécanique passait, jadis, d’un rendez-vous à l’autre, déchirant la ville à moto. Furieusement. Aujourd’hui parfois la journée entière est bloquée pour le client. Le temps compte. Raison de plus pour l’investir pleinement. Quelque part, entre l’acier et le béton, le bois et le marbre, se loge du désir. Et des histoires. Anthony veut travailler le désir comme une matière.
Faire que le projet ne soit pas une extension de l’architecte, et que la signature marque sa responsabilité plutôt que son triomphe. Il y faudra cette approche cultivée par le petit peuple de l’Atelier Parisien. On étudiera le contexte, on identifiera les contraintes du lieu pour en faire des atouts. On déploiera ses antennes sensibles, celles qui captent tout ce qu’il y a de déterminant dans l’impalpable.
Est-ce à dire que l’agence prétend transfigurer ? Non. C’est une idée prétentieuse. Et puis c’est une sotte idée. Aimer les perspectives et les volumes, c’est d’abord tirer la pleine puissance d’un espace. Que peut ce lieu ? On n’essayera pas de rendre lumineuse la pièce sombre. On préférera lui ajouter de la douceur, du romantisme. Il faut accepter la nature du lieu d’abord, l’exploiter ensuite. Dans tout volume pensé pour l’homme, il y a cette voix secrète, ce potentiel qui ne se révèle qu’à l’œil attentif. Dans une petite chambre d’enfant, on fera en sorte que son œil s’évade lorsqu’il est allongé, pour rêver. Qui voudra « transfigurer » niera. Or, l’architecture n’est pas fantasme. Le lieu, c’est l’écorce même de l’existence. Les gens dineront ici, feront l’amour, ils y vivront de grasses matinées, de longues soirées et des peines, parfois. On ne plaisante pas en dessinant. Anthony se dit sidéré par la pauvreté esthétique qu’il nous faut quotidiennement supporter. À l’atelier, on se promet de faire en sorte que les gens vivent avec plus de beauté devant leurs yeux. Une certitude : il n’est de générosité que dans l’exigence et la précision.
Levé à l’aube tous les matins, il s’attache à sa passion sans relâche, toute la journée. C’est sa vie. Il a jeûné à midi, comme chaque jour. Téléphone à la main et toujours en mouvement, il a rejoint les artisans puis s’est rendu sur ses chantiers, plus d’une vingtaine par an avec 200 personnes qui travaillent au quotidien sur ses projets, à Paris, sur la Côte d’Azur, à Palma, en Afrique, ou ailleurs. Il n’a pas d’échelle, ni de lieu et pas de frontières. L’architecture est son essence. Il quitte son atelier tôt l’après-midi. Les idées ne naissent pas au bureau, mais dans la rue, sur les chemins, dans les voyages. Il aime explorer, observer, écouter, étudier. Il espère avoir pris sa modeste part à l’embellissement du monde. Il a fait du mieux qu’il pouvait en donnant son énergie aux autres, ce qui le fait vivre.
Enfin, celui qui a vu et revu Un singe en hiver ou L’As des As rejoint sa femme et ses enfants dans leur nid surplombant le centre de Paris qu’il leur a fait… Et tutoie alors les anges.