En une semaine, le Maroc a connu deux évènements majeurs lors de cette rentrée politique. D’un part, le Royaume Chérifien dispose depuis mercredi dernier d’un exécutif resserré composé de 23 ministres. De l’autre, le roi Mohammed VI a adressé un message sans équivoque non seulement à la classe politique et aux membres des deux chambres composant le parlement mais également au secteur privé. S’exprimant lors de son traditionnel discours d’ouverture du parlement, le chef de l’Etat a notamment invité le secteur bancaire à s’impliquer plus et mieux dans le projet de développement du pays. Avec les chantiers appelés à être ouverts ainsi que la présentation de la loi de finances avant le 20 octobre courant- dans un pays où la commande publique est très importante pour l’investissement- l’agenda politique et social est donc d’une densité inédite au Maroc.
Par Najib Benamour, Économiste, ancien directeur général de la caisse de compensation marocaine.
Du sang neuf
Officiellement annoncée mercredi dernier, après deux mois d’attente, la nouvelle composition du gouvernement marocain donne lieu à un exécutif resserré. Le remaniement réduit l’équipe gouvernementale de près du tiers de son effectif : douze secrétariats d’Etat ont été rabotés, les ministères de la communication et des affaires Générales ont été supprimés et les portefeuilles de la culture et des sports ont été fusionnés.
Ce resserrement devrait permettre, semblerait-il, une identification optimale des responsabilités entre les différents ministres. Enfin, poursuivant cette même visée, l’architecture du gouvernement marocain a elle aussi subit un remodelage, avec quatre pôles qui se substituent aux différents secteurs jusque-là éclatés entre différents départements. Il existe désormais un pôle économique et financier, un pôle éducation, un pôle social et un pôle gouvernance des politiques publiques. Par ailleurs, il apparaît que les ministres ayant démontré leur efficacité ont été conservé à leurs postes alors que les secteurs ayant apporté de faibles résultats ont été confiés à de nouvelles compétences. Ainsi, l’Intérieur, l’Industrie et le Commerce, l’Agriculture, les Transports, et les Finances demeurent inchangés alors que six nouveaux profils entrent au gouvernement El Othmani II. Parmi eux, l’on compte quatre femmes.
C’est donc un agenda politique chargé et complexe qui attend ces nouveaux entrants qualifiés à juste titre de « profils techniques », « hautement qualifiés ». Enrichi de ces compétences, il apparaît que le Royaume du Maroc pourra observer une dynamique renouvelée en mesure de satisfaire les besoins des citoyens marocains. Les avancées économiques reconnues du pays devront cette fois-ci s’accompagner d’un progrès social jugé encore trop faible.
Des réussites économiques incontestables et des enjeux sociaux à adresser
De fait, en 2019, le Maroc connaît un taux de croissance de 3 % avec un taux de chômage redescendu sous la barre des 10%. Côté atouts, le Royaume est doté d’un maillage logistique, , portuaire, routier et autoroutier et ferroviaire qui n’a rien à envier aux pays développés. De même, la stratégie de réformes sectorielles initiée depuis 2000 a permis au Royaume de jouir de réussites industrielles dans l’automobile et l’aéronautique notamment, en faisant dès 2021 le premier fabricant d’automobiles de la Méditerranée.
En bref, il convient de souligner que les réussites sur le plan économique ont été nombreuses au Royaume chérifien au cours des deux dernières décennies. Il est tout aussi important de souligner que ces performances impressionnantes ont également eu des effets pervers en matière d’inégalités sociales et de disparités spatiales. Certaines réformes ont engendré des résultats insuffisants en raison d’un développement jugé encore trop faiblement inclusif. Ces échecs ont d’ailleurs pu mettre en lumière plus que jamais la dualité de l’économie marocaine caractérisée par de fortes régions de croissance concentrées entre Kénitra et El Jadida, avec, à l’opposé, d’autres régions souffrant d’un important retard en termes de développement. De la même manière, le chômage frappe un jeune urbain sur quatre aujourd’hui au Maroc. Les inégalités se ressentent aussi au niveau des populations de femmes dont la participation au marché du travail est estimée à 22,2% en 2018.
C’est dans ce contexte qu’il convient de lire le discours de Mohammed VI aux élus de la nation, deux jours après que le nouvel exécutif ait été dévoilé. Poursuivant dans la même veine de son discours du trône du 30 Juillet 2019, le chef de l’Etat marocain a renouvelé son appel à la responsabilisation de la classe politique mais également du secteur privé, jugé trop frileux, notamment en matière d’accompagnement des jeunes et des entrepreneurs. Particulièrement visé : le secteur bancaire, qui aurait trop focalisé le financement de projets rentiers, négligeant le soutien à l’entreprenariat.
De nouvelles exigences de développement
Modèle de développement, plans sectoriels, régionalisation avancée : ce sont donc les déterminants stratégiques qui devraient répondre aux besoins sociaux et en même temps hisser le Maroc au rang de nation avancée. L’élaboration du nouveau modèle de développement, à l’aune d’une composition gouvernementale forte de ses nouvelles compétences, devra s’accompagner de mesures qui consolideront le consensus requis autour du modèle projeté ; et l’exécutif devra créer les conditions favorables à son impulsion. Aussi, la participation du gouvernement à ce chantier implique dans l’immédiat la préparation d’un bilan de l’ensemble des programmes de développement qui vont arriver à terme. Les plans sectoriels à venir devront essentiellement prendre en compte les évaluations des politiques publiques qui ont été mises en œuvre. Pour le gouvernement, il faudra sauvegarder et consolider les programmes qui portent sur la réduction des disparités sociales et territoriales. La mise en oeuvre du nouveau modèle de développement devra ainsi cristalliser les efforts de l’ensemble des acteurs politiques durant cette étape. Les
territoires seront également mis en avant pour un développement local plus efficace et inclusif permis par la régionalisation avancée.
A l’heure de la rentrée politique, le gouvernement renouvelé ainsi que le secteur privé devront donc faire l’union sacrée afin de répondre aux défis qui leurs sont lancés.
Par Najib Benamour, Économiste, ancien directeur général de la caisse de compensation marocaine.