André-Jacques Auberton-Hervé est docteur en physique des semi-conducteurs et un entrepreneur à succès. On lui doit la réussite de l’entreprise Soitec, leader mondial des matériaux innovants pour l’industrie des puces électroniques, aujourd’hui valorisée à plusieurs milliards d’euros. Derrière son engagement pour le développement des entreprises, une conviction forte : ces mêmes entreprises doivent chercher à créer des innovations de rupture pour démocratiser l’accès à l’innovation.
Les innovations de rupture sont en train de révolutionner notre quotidien. Portées par les startups de la « Deep Tech », elles modifient nos comportements et nos habitudes en repoussant les frontières technologiques. Que ce soit pour lutter contre certaines maladies ou le réchauffement climatique, André-Jacques Auberton-Hervé affirme que l’Europe doit s’emparer de l’innovation de rupture pour rivaliser économiquement avec la Chine et les Etats-Unis.
Le consommateur au cœur de la révolution industrielle 4.0
Selon le docteur en physique, notre planète est à l’aube d’une révolution majeure qui s’étendra à toutes les activités de l’économie. Il a d’ailleurs développé cette idée dans son livre « De l’Audace ! » paru aux éditions Débats Publics. Cette révolution va avoir un impact sur le quotidien de chaque individu, notamment dans la sphère du travail, du social et des idées, mais aussi plus globalement sur la chaîne de valeur économique.
Ces dernières années, des avancées ont vu le jour en matière d’innovation technologique : des progrès dans la robotique, le traitement des données, les biotechnologies, l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables ou encore le stockage de l’énergie électrique. Selon André-Jacques Auberton-Hervé, le mouvement créé par ces ruptures technologiques va être déterminant, comme l’a été, pour l’Europe, la révolution industrielle du XIXe siècle.
Mais contrairement à la grande mutation qui a suivi cette révolution industrielle au cours du XXe siècle, ce ne sont pas les Etats qui sont au cœur du processus, mais les consommateurs. Ce sont eux qui décident d’adopter ou de rejeter les nouveaux produits ou les nouveaux modèles de services. En cela, ils sont des « consomm’acteurs », comme les appelle André-Jacques Auberton-Hervé. Ils sont les principaux acteurs de la Révolution industrielle 4.0 que nous vivons : la révolution des usages. Cette nouvelle ère se nourrit des révolutions précédentes : celle de la mécanisation, de l’énergie et plus récemment celle du digital. Elle est amplifiée par la mobilité connectée des objets et des hommes.
A qui profite cette révolution des usages ?
Comme pour la révolution digitale, la DeepTech jouera un rôle important. Elle permettra de créer des innovations de rupture qui engendreront de nouveaux usages. Reste à savoir quel rôle jouera chacun des pays dans ce nouveau paradigme en laissant ou non la place à l’innovation. Les Etats-Unis et la Chine se sont déjà lancés dans une course effrénée afin de changer le monde. A la clé, la promesse d’une forte croissance économique et plus de richesses. Pour André-Jacques Auberton-Hervé, il s’agit d’une véritable guerre froide entre ces deux nations. Mais cette fois, c’est l’économie qui est en jeu et ses victimes subissent quant à elle le chômage et l’exclusion.
Qu’en est-il de la France dans cette compétition ? Devant elle des acteurs incontournables de l’économie numérique : Apple, Amazon, Google et Facebook pour les Etats-Unis et Samsung, Huawei, Alibaba, Baïdu, pour l’Asie et principalement la Chine. Leur force ? Disposer d’un marché homogène et porter les innovations de rupture jusqu’aux consommateurs. C’est pourquoi ils investissent massivement dans la ville intelligente, la santé connectée, l’énergie distribuée, l’automobile automatisée ou l’intelligence artificielle.
Dans ce contexte une seule option s’impose : replacer l’Europe (et la France) au cœur de cette compétition.
Les bonnes raisons de croire en une Europe forte sur tous les plans
Si aujourd’hui, le monopole de l’innovation dans les usages est détenu par les Etats-Unis et la Chine, jusqu’au début du XXe siècle ce sont bien les pays européens qui occupaient la première position ! Les potentialités subsistent en Europe : elles s’appuient sur une longue et solide tradition de savoir-faire industriel et un certain « génie ». L’Allemagne a eu son lot de scientifiques et de leaders mondiaux dans les domaines de la mécanique et de la chimie. Les ingénieurs français ont été des bâtisseurs et les entreprises françaises furent à l’origine d’innovations industrielles ambitieuses. C’est d’ailleurs encore le cas, avec les exemples d’Airbus ou encore de Soitec, leader mondial des matériaux innovants pour l’industrie des puces électroniques, fondée par André-Jacques Auberton-Hervé. Soitec reste à ce jour la seule entreprise française à être devenue une licorne dans un secteur aussi compétitif que le semi-conducteur
Sa croissance rapide, elle la doit notamment à son universalité : ses produits ont été adoptés par un grand nombre d’usagers. La société a créé des standards dont les consommateurs ne peuvent plus se passer aujourd’hui. Elle a contribué à l’avènement des smartphones et des tablettes, tout en respectant la planète, grâce à la diminution de leur consommation d’énergie. Ce sont ces valeurs et cet ancrage dans les usages de son temps qui font la force de la société aujourd’hui et plus largement, permettent à la France et à l’Europe de créer de belles aventures entrepreneuriales.
« Les innovations de ruptures sont là, dans nos laboratoires. Elles n’attendent qu’à être exploitées ! », rappelle le co-fondateur de Soitec. L’Europe représente en effet un marché de 500 millions de «consomm’acteurs» et 350 millions d’internautes. Le CEA (le Commissariat à l’énergie atomique) a également été mis par Reuters sur le podium des meilleurs centres de recherche en matière d’innovation dans le monde. Dans les faits, l’Europe possède donc les atouts humains, économiques et industriels nécessaires pour prendre la première place de cette nouvelle ère de croissance.
Comment l’Europe peut-elle prendre part à ce marché d’innovation de rupture ?
L’Europe a un rôle-clé à jouer dans la révolution industrielle 4.0. Pour aider les entrepreneurs français à emprunter le chemin de la croissance, il reste un effort à faire selon André-Jacques Auberton-Hervé, dans le domaine du financement.
Il propose notamment la création d’un marché de capitaux à l’échelle Européenne dédié aux sociétés de croissance qui forgent la nouvelle économie. Seul la création d’un marché boursier capable de jouer le même rôle que le NASDAQ, permettra le renouveau du tissu
industriel européen. Toute innovation implique un risque financier selon lui. Soitec, par exemple, a fait appel aux marchés de capitaux cinq fois de suite, ce qui est rare pour une entreprise française.
Il subsiste une différence culturelle entre l’Europe et les Etats-Unis : les banques du vieux continent représentent 70% du financement externe des entreprises quand le recours au crédit bancaire en représente seulement 24% de l’autre côté de l’Atlantique. Voilà qui explique en grande partie pourquoi l’Europe n’a créé aucun GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) selon lui.
Heureusement, tout n’est pas perdu. Mais seule une vision industrielle globale à l’échelle européenne permettra de faire face aux Etats-Unis et à la Chine. Pour André-Jacques Auberton-Hervé, c’est sur l’innovation des usages, proche du consommateur, que l’Europe et la France doivent porter leur attention. Grâce à un marché de capitaux à échelle européenne, et l’excellence des laboratoires de recherche en Europe, émergeront demain des champions européens de l’industrie et des services 4.0, capables de pénétrer les marchés mondiaux et d’apporter une croissance durable.
André-Jacques Auberton-Hervé