Au cœur de la montée de la guerre commerciale lancée par Donald Trump, plusieurs grandes entreprises françaises ont récemment annoncé de nouveaux investissements aux États-Unis. Une stratégie défensive visant à contourner les menaces de droits de douane imposés par l’administration Trump et à protéger leurs activités des nouvelles barrières fiscales américaines.
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier 2025, Donald Trump a réaffirmé sa doctrine économique : « America First ». Dès les premiers jours de son mandat, il a renouvelé ses appels aux entreprises étrangères pour qu’elles délocalisent leur production sur le sol américain, en échange d’une fiscalité plus avantageuse et d’un accès sécurisé au marché intérieur. Ce message, déjà martelé lors de son premier mandat, prend aujourd’hui une tournure plus pressante alors que l’administration continue de menacer d’imposer de nouveaux droits de douane allant jusqu’à 25 % sur certains produits européens.
Dans ce climat incertain, plusieurs grandes entreprises françaises ont annoncé, depuis le début de l’année 2025, leur intention d’investir davantage aux États-Unis. Une stratégie d’anticipation, pensée par des groupes tels que LVMH ou Sanofi comme un moyen de contourner les barrières tarifaires américaines et de limiter l’impact économique de cette nouvelle donne protectionniste.
LVMH : expansion prudente aux États-Unis
Face à la montée des tensions commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne, LVMH illustre la stratégie d’adaptation des grands groupes français : investir davantage sur le sol américain pour contourner les futures taxes de l’administration Trump. Bernard Arnault, PDG du groupe, a exprimé ses inquiétudes lors de son assemblée générale pour 2025, citant des droits de douane pouvant grimper jusqu’à 20 % sur les produits européens, et jusqu’à 31 % sur les montres suisses, un coup direct porté à des marques comme Louis Vuitton et TAG Heuer.
En réaction, le groupe envisage une expansion mesurée de ses capacités de production aux États-Unis. Trois ateliers Louis Vuitton y sont déjà actifs, et couvrent actuellement près d’un tiers de la demande locale. La production de Tiffany & Co., marque rachetée en 2021, est quant à elle majoritairement basée aux États-Unis, ce qui en fait un modèle d’ancrage local à dupliquer.
Mais cette stratégie « made in USA » ne va pas sans prudence ni contraintes. Agrandir la production sur le territoire américain implique d’importants délais de montée en charge, notamment pour le recrutement et la formation d’artisans qualifiés, un point crucial dans l’univers du luxe. Bernard Arnault a également pointé la lenteur des négociations de l’Union européenne avec Washington, qui expose davantage les entreprises européennes face aux décisions unilatérales américaines.
En parallèle, LVMH a préparé des mesures d’atténuation en cas d’échec diplomatique : relèvement ciblé des prix sur le marché américain, ajustement des dépenses marketing et réallocation partielle des flux logistiques. Cette expansion industrielle prudente illustre un basculement stratégique dont l’objectif est de s’ancrer aux États-Unis et demeure un levier de survie face à la volatilité des politiques commerciales trumpistes.
Sanofi : relocalisation partielle de la production
Confrontée aux menaces de nouvelles taxes douanières sur les produits pharmaceutiques européens, Sanofi a aussi décidé de renforcer sa stratégie d’implantation locale aux États-Unis. Cette décision répond directement aux injonctions de l’administration Trump, qui pousse les groupes étrangers à produire sur le sol américain pour éviter des droits de douane pouvant atteindre 18 % sur certains médicaments.
François-Xavier Roger, directeur financier de Sanofi, a évoqué des « investissements potentiels supplémentaires » dans les capacités industrielles américaines, particulièrement dans les génériques et les vaccins. Le groupe cherche ainsi à protéger son accès au marché américain, essentiel à sa croissance, tout en s’alignant sur les exigences des politiques locales. Une stratégie qui s’inscrit dans un mouvement plus large de relocalisation partielle qui concerne également la chaîne d’approvisionnement.
L’ancrage stratégique de Sanofi aux États-Unis s’est déjà traduit par des résultats concrets : au premier trimestre 2025, les ventes du groupe sur le marché américain ont bondi de 15,4 %, atteignant 4,66 milliards d’euros. Cette performance est portée par des produits phares comme le traitement de l’asthme Dupixent et l’insuline Lantus. Pour consolider cette dynamique, Sanofi a récemment signé un accord de licence avec Novavax, afin de co-commercialiser un vaccin combiné contre la grippe et le Covid-19, ciblant spécifiquement le marché nord-américain. Ce choix de développement sur place permet à Sanofi de limiter les risques liés aux barrières douanières, tout en bénéficiant des incitations fiscales proposées par plusieurs États américains.
Stellantis : réorientation stratégique vers les États-Unis
Confronté à la menace de droits de douane pouvant atteindre 25 % sur les véhicules importés en provenance d’Europe, Stellantis a accéléré sa stratégie de production locale aux États-Unis. Le groupe automobile, né de la fusion entre PSA et Fiat Chrysler, a annoncé en avril 2025 un plan d’investissement de 4,1 milliards de dollars pour étendre ses capacités industrielles dans le Michigan, notamment dans l’électrification de sa gamme Jeep et Dodge. L’objectif est clair : produire sur le sol américain pour éviter les taxes et maintenir sa compétitivité dans un marché où il réalise plus de 40 % de ses ventes mondiales.
Le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, a déclaré que « l’investissement local devient une obligation stratégique pour rester présent dans le jeu américain ». Outre la création de 4 500 emplois prévue sur les nouveaux sites, Stellantis prévoit également de renforcer ses partenariats avec des fournisseurs américains pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement, notamment sur les batteries. Cette stratégie vise non seulement à échapper aux barrières douanières, mais aussi à bénéficier des subventions fédérales prévues dans l’Inflation Reduction Act, qui favorise les véhicules assemblés aux États-Unis avec des composants d’origine locale.
Les autres secteurs touchés en Europe
Au-delà de l’industrie du luxe, de la pharmacie ou de l’automobile, le secteur agroalimentaire français est aussi particulièrement exposé aux nouvelles mesures tarifaires annoncées par l’administration Trump. Des groupes comme Danone, Bel ou Savencia, tous exportateurs de produits laitiers vers les États-Unis, sont concernés.
En 2024, la France a exporté pour près de 800 millions d’euros de produits laitiers vers les États-Unis, un marché stratégique en croissance. Si aucun plan d’investissement n’a encore été annoncé formellement, ces groupes évaluent des solutions d’atténuation, allant de la hausse des prix à l’étude d’une relocalisation partielle de la production.
Le secteur agroalimentaire français face aux taxes américaines
Exportations françaises de produits laitiers vers les États-Unis (2024)
- Valeur estimée : 800 millions d’euros
- Part du marché américain dans les exportations laitières françaises : près de 12 %
Groupes concernés :
- Danone (Activia, Horizon Organic, Oikos)
- Bel (La Vache qui Rit, Babybel, Kiri)
- Savencia (Caprice des Dieux, Saint Albray, Alouette)
Menaces tarifaires américaines :
- Tarifs douaniers envisagés : jusqu’à 25 % sur les produits laitiers européens
Risque estimé selon la FNIL :
- Une taxe supplémentaire de 10 % pourrait faire perdre jusqu’à 10 % de parts de marché aux exportateurs français
Conscients de leur vulnérabilité face à des hausses tarifaires brutales, les industriels de l’agroalimentaire explorent aujourd’hui la piste d’une implantation locale. Danone, déjà actif sur le marché américain via ses filiales (notamment Horizon Organic et Oikos), pourrait renforcer ses capacités industrielles pour contourner les futurs droits de douane.
La Fédération nationale de l’industrie laitière (FNIL) indique que « chaque point de taxe supplémentaire pourrait faire perdre 5 à 10 % de part de marché aux exportateurs français ». Bel et Savencia, qui opèrent principalement depuis l’Europe, envisagent quant à eux des partenariats avec des acteurs locaux ou des acquisitions ciblées pour sécuriser leur accès au marché américain.
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