Lorsque l’IA générative est arrivée dans nos vies, le débat s’est immédiatement focalisé sur son usage ou non par les élèves. Sciences Po a commencé par l’interdire avant de faire machine arrière comme beaucoup d’autres établissements.
Une contribution de Laurent Darmon, Directeur de l’Innovation et des Nouvelles Activités du Crédit Agricole SA
Un débat similaire avait eu lieu vingt-cinq ans plus tôt avec la crainte que l’encyclopédie Encarta ne remplace les livres, puis que Wikipedia ne fasse fermer les bibliothèques. Si depuis cette époque, un changement a bien eu lieu dans nos façons d’apprendre grâce aux nouvelles technologies, ces outils n’ont clairement pas eu les effets escomptés pour la multitude, comme le montre le 26e rang de la France au classement Pisa. Dans le tourbillon dataïste, ce n’est pas tant Wikipédia et Google qui ont affecté le niveau des élèves que l’ensemble des sollicitations numériques et l’exigence même de l’école. Alors qu’on pourrait en solliciter plus à des élèves qui ont tant de savoir à portée de clic, on en demande moins.
Il n’y a pas de raison qu’il en soit différemment avec les capacités prométhéennes de l’IA désormais capable d’effectuer un travail de recherche, de compilation et de synthèse en quelques secondes. Son usage s’est naturellement imposé sur les bancs des universités, si bien qu’en avril 2024, une étude montrait un taux d’adoption de 99% en 4ème année du Pôle Léonard de Vinci.
Chez les enseignants, l’intelligence artificielle est déjà une option pour dégager du temps dans la correction des copies et la préparation de cours adaptés à certaines typologies d’élèves. La profession fait aussi évoluer les modalités d’évaluation sur la base d’examens adaptés à la cohabitation avec l’IA. Mais l’enjeu majeur pour l’école est de préparer nos enfants à une double réalité.
Cohabiter avec une intelligence gratuite face à des métiers en mutation
Pour se préparer au monde du travail, on doit tous apprendre à coder, mais la machine le fait déjà mieux que nous. Nous devons savoir présenter des idées mais l’IA générative s’avère également de plus en plus performante dans cet exercice. Désormais, il ne s’agit plus seulement d’apprendre à faire, mais d’apprendre à cohabiter avec une intelligence quasi-gratuite et accessible à tous. Cette nouvelle capacité peut démultiplier les possibilités, mais elle annonce l’émergence d’une inégalité entre ceux qui sauront exploiter les algorithmes et les autres. L’école doit donc préparer les élèves à utiliser efficacement ces outils tout en conservant des enseignements de base indispensables qui sont aussi le socle d’une culture commune. Alors comment faire de la place ? Les outils numériques apporteront sans doute une solution pour parfaire ces apprentissages, notamment en dehors de l’école.
Vivre en citoyen à l’ère d’une vérité sans-cesse remise en question
L’école nous a aussi appris à chercher une information parmi des sources diverses et à nous y fier. Une approche qui devient hasardeuse à mesure que les garde-fous de l’information s’effondrent. Les tenants de la post-modernité ont trouvé avec internet un écho inédit pour remettre en cause les institutions et les récits nationaux. La traduction de ce mouvement de déconstruction est désormais une porte ouverte sur un monde virtuel où avatars et fakenews s’invitent dans notre quotidien. Quel rôle alors pour une école qui préparerait à évoluer dans un monde où l’information et la vérité sont deux choses bien distinctes ? L’école a ce nouveau devoir de former à l’identification des biais cognitifs, à la validation d’une information qui permet le développement de l’esprit critique.
Évitons de former des étudiants obsolètes
Alors que l’IA projette une société dont nous avons du mal à en définir les contours, l’enseignement doit encourager les générations futures à se projeter et à trouver de nouvelles voies plus adaptées à ce monde en cours de construction. La reproduction des modèles à la base de l’école de Jules Ferry atteindra bientôt ses limites. Pour éviter de fabriquer des étudiants obsolètes, nous devons revenir à des fondements plus socratiques : apprendre à apprendre. Nos jeunes doivent entrer dans la vie professionnelle en maîtrisant le concept d’amélioration continue pour eux-mêmes. Il en va sinon de notre obsolescence à tous.
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