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Due diligence tech : ce que les indicateurs ne montrent jamais

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Due diligence tech : ce que les indicateurs ne montrent jamais

Souvent résumée à une étape formelle dans les levées de fonds ou les opérations de M&A, la due diligence est en réalité un exercice stratégique. Elle vise à évaluer en profondeur la solidité d’une entreprise, au-delà des seuls indicateurs financiers. C’est un audit de vérité, mené par les investisseurs pour débusquer les zones de risque, valider la capacité d’exécution, et estimer la scalabilité réelle d’un projet. Et pourtant, trop souvent, cet exercice se limite à une lecture superficielle des métriques.

Une contribution de Joachim Fourquet, co-fondateur de Nestos & Hones

 

Dans un marché où l’argent n’est plus aussi facile qu’avant, la due diligence redevient ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un filtre déterminant, stratégique, exigeant. Le souci, c’est que trop souvent, elle reste focalisée sur la couche visible : les indicateurs financiers, les seuils de croissance, le pipe commercial. Des chiffres, des documents, des intentions.


Mais les boîtes ne s’effondrent pas parce qu’un KPI a légèrement flanché. Elles s’effondrent parce que personne ne savait vraiment ce qui se passait sous le capot. Organisation bancale. Produit flou. Décisionnels déconnectés. Delivery erratique. Et souvent… personne pour vraiment alerter.

Investir dans une entreprise mal structurée, c’est acheter un avion sans inspecter les moteurs. Tant qu’il roule sur le tarmac, tout va bien. Mais au premier décollage… c’est la cata et les failles se paient cash.

 

Les angles morts qu’aucun ne montre

 

En apparence, tout est là : chiffres de traction, board convaincu, vision ambitieuse. Mais dans les lignes techniques et humaines de l’entreprise, les erreurs s’accumulent.

Premier signal faible : un CTO non intégré dans la vision stratégique de la tech.
La fonction est téléguidée par les fondateurs ou bridée par manque de vision produit.
Le CTO est bien là, il existe, mais ne pilote rien.

Deuxième écueil fréquent : une roadmap qui change tous les deux mois. Les choix sont dictés par les demandes commerciales, pas par une vision produit stable. On navigue à vue, mais dans le brouillard.

Troisième fragilité : une dépendance critique à une ou deux personnes clés. Un lead dev qui détient toute la connaissance technique. Un profil historique qui fait « tourner la boutique », mais qu’aucun process ne documente, aboutissant alors à une dette technique dangereuse. 

Et puis il y a l’ambiance sous-jacente. Une équipe qui surjoue la méthode agile. Des rituels vides de sens. Une organisation où les devs ne savent pas pourquoi ils codent ce qu’on leur demande.

Tout cela ne figure dans aucun tableur. Mais tout cela a un coût très concret.

 

Pourquoi ces signaux faibles coûtent cher (et souvent tard)

 

Le problème avec les angles morts, c’est qu’ils ne se déclarent pas tout de suite. Ils attendent. Et puis ils explosent.

Au début, on croit à un simple retard de livraison. Puis, on découvre que personne ne sait vraiment où est la dernière spec fonctionnelle. Que le code ne peut pas être repris. Que les fondations techniques n’ont jamais été posées. Que les équipes ne parlent pas le même langage. Ce n’est pas un bug. C’est un système qui s’effondre sous sa propre incohérence.

Et là, on paie. Recrutements d’urgence. Refonte du produit. Perte de vélocité. Turnover. Et bien sûr, dilution de la confiance entre investisseurs et fondateurs. Tout ça, après avoir signé.

Ce que l’on pensait être une boîte “prometteuse” devient un cas de restructuration. Non pas parce que le marché est mauvais ou le produit inintéressant. Mais parce que personne n’a pris le temps, au bon moment, de poser les bonnes questions à l’intérieur.

Ce n’est pas le manque d’ambition qui fait échouer les startups. C’est l’incapacité à traduire cette ambition en exécution structurée. Une due diligence efficace, ce n’est pas une checklist juridique ou un audit financier réchauffé. C’est une lecture en profondeur de la capacité d’une entreprise à exécuter, itérer, évoluer. Une lecture qui va chercher ce que les documents ne disent pas.

Cela commence par une approche terrain. Rencontrer les équipes tech, produit, design. Comprendre comment elles travaillent. Comment les décisions se prennent. Comment la roadmap est construite, ou subie. Comment les arbitrages sont documentés, ou non.

Cela se poursuit par une analyse structurelle. Qui fait quoi ? Qui comprend quoi ? Qui challenge ? Est-ce que les priorités sont claires, partagées, alignées avec la réalité business ? Ou bien est-on face à une dynamique où chacun bricole son bout, en espérant que tout tiendra ? Et surtout : est-ce que l’organisation est scalable ? Est-ce qu’elle peut absorber de la croissance, des nouvelles recrues, des clients plus exigeants… sans imploser ?

Une bonne diligence ne cherche pas des garanties. Elle cherche des signes d’alignement, de cohérence, de maîtrise.

Quand ces signes sont là, même une boîte imparfaite devient investissable. Quand ils sont absents, même les plus beaux pitchs méritent un coup de frein.

À l’inverse, certaines levées récentes illustrent la valeur d’un diagnostic structuré en amont. C’est le cas de WeeFin, dont l’un des audits de due diligence tech effectué en début d’année, a permis de sécuriser un tour de table de 25 millions d’euros. Ici, ce n’est pas un indicateur financier qui a convaincu, mais la capacité à démontrer que l’organisation savait exécuter. Clarification des rôles, vision produit cohérente, maîtrise des risques techniques : autant de marqueurs que la due diligence tech doit justement rendre visibles, pour permettre aux investisseurs d’évaluer, en connaissance de cause, la capacité réelle d’exécution.

 

Voir ce que les chiffres ne montrent pas

 

Investir, ce n’est pas parier sur une présentation. C’est s’engager sur une organisation. Une équipe. Une capacité d’exécution.

Dans un cycle économique plus sobre, où chaque euro doit compter, la due diligence ne peut plus se contenter de valider des indicateurs financiers. Elle doit questionner la mécanique interne. La façon dont le produit est conçu, livré, maintenu. Le niveau de maturité des équipes, des rituels, de la gouvernance. Le niveau de maturité des équipes, des rituels, de la gouvernance. Et surtout, la clarté, ou l’opacité, des arbitrages. Elle doit auditer la tech elle-même. Le vrai risque, ce n’est pas un chiffre trop optimiste. C’est une organisation incapable de tenir ce qu’elle promet.

 

Alors que les investisseurs deviennent plus exigeants, la capacité à lire entre les lignes, à détecter les signaux faibles, devient un avantage concurrentiel majeur.

Si vous ne voyez pas comment une entreprise fonctionne vraiment, vous n’achetez pas un actif. Vous achetez une illusion de contrôle. Et dans ce contexte, la vraie due diligence est moins un filtre qu’un révélateur. Pas pour ralentir un deal. Mais pour donner à chacun, fondateur comme investisseur, une base plus saine sur laquelle construire la suite.

 


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