La rémunération des dirigeants est souvent perçue comme une question technique ou de conformité. Pourtant, elle constitue un levier stratégique essentiel pour aligner les visions des actionnaires, des conseils d’administration et des équipes dirigeantes. Lorsqu’elle est conçue avec soin, elle devient un outil puissant de clarification des attentes en matière de performance, d’ambition et de création de valeur à long terme.
Une contribution de Sofia Sefrioui, Experte Stratégie RH, Rémunération & Gouvernance
La rémunération des dirigeants, un révélateur de la qualité du dialogue entre le conseil et les actionnaires
Depuis 7 ans, le Say on Pay fait partie intégrante du paysage de la gouvernance en France. Instauré par la Loi Sapin II, il impose depuis 2018 un double vote annuel contraignant sur la rémunération des dirigeants mandataires des sociétés cotées : ex-ante : sur les principes, ex-post : sur leur mise en œuvre effective, ce qui fait de la France le pays où le Say on Pay est le plus contraignant dans le monde.
Et avec la saison des Assemblées générales qui s’ouvre, c’est le moment où les dispositifs de rémunération sont scrutés, questionnés, validés – ou contestés.
En France, le risque est très faible de voir des résolutions non approuvées dans les grandes entreprises cotées (du SBF120), compte tenu du poids important dans les votes, des actionnaires représentés au conseil, dû à l’exercice du vote double et à la plus faible participation des investisseurs institutionnels, quand bien même ils représentent globalement en moyenne 70% du capital de ces sociétés.
Néanmoins, les taux d’approbation sur les résolutions Say on Pay restent souvent sous la barre des 90% considérés comme le seuil en deçà duquel une résolution est considérée comme contestée selon les standards internationaux.
Ces taux d’approbation peuvent masquer des votes négatifs de la part des investisseurs institutionnels, la plupart du temps non représentés au conseil.
Ceci est souvent la conséquence de la mauvaise qualité (ou de l’absence) du dialogue entre le conseil et les actionnaires et en particulier de la non prise en compte de leurs attentes. Ce que contestent souvent les investisseurs se retrouvent dans les politiques de vote des principales agences de conseil en vote : lien peu évident entre la performance de l’entreprise et les critères sous-jacents à la rémunération variable des dirigeants ; équilibre jugé inapproprié entre le court terme et le long terme dans le package, un montant de la rémunération globale jugé excessif eu égard aux pratiques du marché.
Un exemple concret d’alignement stratégique par la rémunération
Prenons le cas d’une filiale d’un grand groupe non coté dans le secteur des services financiers, comptant plusieurs centaines de collaborateurs. Les actionnaires étaient préoccupés par les résultats jugés insuffisants de la filiale, attribués à une vision trop court-termiste des dirigeants. Ils souhaitaient encourager une vision à moyen et long terme pour le développement de l’activité et ont sollicité notre intervention.
En collaboration avec le management, nous avons élaboré un bonus pluriannuel sur trois ans destiné aux principaux dirigeants (une dizaine de collaborateurs). Ce dispositif était directement lié au plan stratégique triennal, avec des indicateurs pertinents et une mécanique de déclenchement des versements cohérente avec les objectifs fixés. Des simulations ont été réalisées pour estimer l’enveloppe nécessaire en fonction de différents scénarios de performance.
Lors de la présentation aux membres du conseil (la majorité d’entre eux représentaient les actionnaires), il est apparu que leurs attentes en termes de performance, notamment concernant l’évolution du résultat net, étaient nettement supérieures à celles du plan stratégique. Un travail pédagogique a permis de converger vers des objectifs communs, en conciliant à la fois les ambitions des actionnaires et les capacités de croissance de la filiale, en considérant sa structure organisationnelle et les hommes et femmes qui la composent.
Cet exercice a été vertueux, il a permis aux dirigeants de mieux appréhender les leviers de création de valeur et d’identifier les domaines nécessitant une collaboration accrue entre divisions et départements. Pour les actionnaires, il a assuré l’atteinte d’un cap partagé, suffisamment ambitieux à trois ans. L’investissement dans ce nouveau dispositif incitatif s’est révélé largement justifié par la valeur créée.
Une démarche d’écoute et de coconstruction
Cela a été possible grâce à un travail d’écoute des représentants de toutes les parties prenantes, pour comprendre l’activité, les leviers de performance, l’environnement humain, la culture.
Le partage de l’état des lieux des dispositifs en place a permis de statuer sur les performances rémunérées sur le court terme afin d’éviter les redondances et des zones d’inéquité ont pu être identifiées.
Les nouvelles orientations, issues d’un travail de coconstruction (au travers de plusieurs sessions de travail dédiées), ont pu déboucher sur un dispositif sur mesure, aligné avec la stratégie et les attentes des parties prenantes à moyen terme.
La rémunération comme outil de pilotage stratégique
Au-delà de sa fonction première, la rémunération des dirigeants doit être envisagée comme un véritable outil de pilotage stratégique. Elle permet d’aligner les intérêts des actionnaires et des dirigeants, de clarifier les objectifs de performance et de renforcer la gouvernance de l’entreprise. En dépassant une approche purement technique ou conformiste (qui consiste à se caler sur les pratiques marché), les entreprises peuvent transformer la rémunération en un levier puissant de création de valeur et de succès à long terme.
La rémunération devient un véritable acte de gouvernance, alignant les visions et ambitions des différentes parties prenantes pour une performance durable.
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