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Droits de douane : l’incertitude nuit à l’économie et aux investisseurs

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Droits de douane : l’incertitude nuit à l’économie et aux investisseurs

Les actions du monde entier continuent de chuter après l’annonce des droits de douane américains. Les récentes mesures prises par Washington ont eu pour effet d’accroître l’incertitude, de susciter la peur dans le monde, de faire baisser les cours des actions et de renforcer l’animosité à l’égard des États-Unis. Donald Trump a-t-il une feuille de route ? Peut-on tirer des leçons du passé pour comprendre la situation actuelle ?

 

Les leçons du passé

Les tarifs douaniers actuels ont amené de nombreuses personnes à se remémorer l’année 1930, lorsque le président américain Herbert Hoover a promulgué la loi Smoot-Hawley (ou Tariff Act). Bien qu’il y ait quelques différences entre l’environnement tarifaire actuel et celui de l’époque, il existe plusieurs similitudes à prendre en compte. Voici comment se sont déroulés les évènements en 1930.

Le sénateur républicain Reed Smoot et le représentant républicain Willis Hawley sont les deux auteurs de la loi Smoot-Hawley sur les tarifs douaniers. La Chambre des représentants a adopté sa version en mai 1929 par 264 voix contre 147, 244 républicains et 20 démocrates ayant voté en faveur du projet de loi. Au mois de mars suivant (1930), le Sénat a adopté sa propre version de la loi par 44 voix contre 42, avec 39 républicains et 5 démocrates. Après avoir fusionné, les deux projets de loi ont été envoyés sur le bureau de Herbert Hoover pour signature.


Il est intéressant de noter que Herbert Hoover n’était pas favorable à ce projet de loi, ayant fait campagne, en partie, sur la coopération internationale. En outre, plus d’un millier d’économistes, ainsi que Henry Ford, Thomas Lamont de JPMorgan et d’autres chefs d’entreprise, ont exhorté le président américain à opposer son veto au projet de loi.

Malgré l’opposition, les républicains du Congrès ont fait pression sur Herbert Hoover pour qu’il signe, et il a été rapporté que le cabinet du président avait menacé de démissionner s’il ne signait pas. Finalement, Herbert Hoover cède à la pression et signe la loi Smoot-Hawley le 17 juin 1930.

Après la signature, les mesures de rétorsion tarifaires ont commencé. Ces contre-mesures sont imposées aux États-Unis par le Canada, Cuba, le Mexique, la France, l’Italie, l’Espagne, l’Argentine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Suisse. Le Canada a également renforcé ses liens commerciaux avec la Grande-Bretagne. Les actions des partenaires commerciaux des États-Unis ainsi que la loi Smoot-Hawley ont contribué à créer une guerre commerciale féroce, qui a entraîné une chute de 66 % du commerce mondial entre 1929 et 1934. La plupart des économistes et des chefs d’entreprise estiment que la loi Smoot-Hawley a prolongé la Grande Dépression et l’a même aggravée.

Les retombées économiques des droits de douane de 1930 ont nui aux républicains pendant des décennies, car les démocrates ont conservé le contrôle total du Congrès pendant environ 52 des 64 années suivantes. Cette question a également été l’une des principales raisons pour lesquelles Franklin Delano Roosevelt a battu Herbert Hoover lors de l’élection présidentielle de 1932.

Pour autant, il existe des différences entre 1930 et la situation actuelle. Aujourd’hui, l’économie américaine est forte. À l’époque, la Grande Dépression sévissait depuis plusieurs mois, et l’économie était donc faible. Cependant, les données qui permettent d’affirmer que l’économie américaine est forte concernent la période précédant l’annonce des droits de douane par Donald Trump. Actuellement, la plupart des chefs d’entreprise estiment que l’économie américaine s’affaiblit et certains pensent que les États-Unis sont déjà en récession.

 

Les droits de douane de Donald Trump sont-ils réciproques ?

La semaine dernière, lors de son annonce, Donald Trump a déclaré que les nouveaux droits de douane étaient réciproques. Il a montré un tableau avec des chiffres sur ce que les autres pays facturaient aux États-Unis et sur le fait que Washington n’allait leur facturer que la moitié de ce montant. Or, on apprend aujourd’hui que les droits de douane de Donald Trump ne sont pas du tout réciproques. Selon les experts, la formule utilisée pour calculer les nouveaux tarifs n’a pas grand-chose à voir avec la réciprocité. Elle est plutôt liée au déficit commercial avec certains pays.

De plus, Peter Navarro, conseiller principal de Donald Trump pour le commerce et l’industrie manufacturière, a pris l’exemple du Vietnam. Sur CNBC lundi matin, Peter Navarro a déclaré que même si le Vietnam réduisait à zéro ses droits de douane sur les produits américains, cela ne suffirait pas. Selon lui, ce sont les « tricheries non tarifaires qui comptent ». Peter Navarro a parlé des barrières non tarifaires, à savoir 1) la quantité que les États-Unis achètent par rapport à la quantité qu’ils vendent à un autre pays ; 2) le vol de propriété intellectuelle ; 3) la taxe sur la valeur ajoutée ; 4) la manipulation des devises, et quelques autres points. Examinons quelques-uns de ces points.

Le premier point concerne la comparaison entre ce que les États-Unis achètent à un autre pays et ce que ce pays achète aux États-Unis. Peter Navarro a expliqué que pour chaque tranche de 15 dollars de marchandises que les États-Unis achètent au Vietnam, ce pays n’achète qu’un dollar aux États-Unis. Les déficits commerciaux avec d’autres pays ne sont qu’un des facteurs pris en compte dans la formule tarifaire de Donald Trump.

Est-ce raisonnable ? Le PIB du Vietnam est d’environ 245,2 milliards de dollars, soit plus ou moins l’économie de la Caroline du Sud (246,3 milliards de dollars). Le Vietnam est également beaucoup moins riche que les États-Unis. Doit-on s’attendre à ce qu’un petit pays beaucoup moins riche achète aux États-Unis la même quantité de marchandises que les États-Unis lui achètent ? Probablement pas. D’autant plus que les besoins des États-Unis sont bien plus importants que ceux du Vietnam.

Un autre élément intégré dans le calcul des droits de douane de Donald Trump concerne la taxe sur la valeur ajoutée. La TVA est une taxe imposée sur les biens et les services. Il s’agit en quelque sorte d’une taxe nationale sur la consommation. En Europe, la TVA varie de 17 % au Luxembourg à 27 % en Hongrie. Chaque pays fixe son propre taux de TVA conformément à la réglementation de l’Union européenne (UE). Peter Navarro a cité la taxe sur la TVA comme une autre barrière non tarifaire. Le problème, c’est qu’attendre de l’ensemble de l’Europe qu’elle supprime la TVA revient à demander à la région de modifier radicalement son système de collecte des recettes. Cela nécessiterait une modification des règlements de l’UE.

Étant donné que Peter Navarro a fait référence à la TVA à plusieurs reprises et qu’il a déclaré que les barrières non tarifaires étaient les questions les plus importantes, il ne faut pas s’attendre à ce que l’Europe cède sur ce point de sitôt. Par conséquent, si ces barrières non tarifaires sont le problème le plus important et que Donald Trump ne cédera pas tant que ces questions ne seront pas résolues, la guerre commerciale actuelle pourrait se poursuivre pendant un certain temps. Et, comme les républicains dans les années 1930, cela pourrait se retourner contre eux s’ils ne font pas attention.

 

Réaction des marchés boursiers aux tarifs douaniers : hier et aujourd’hui

Comment les actions réagissent-elles aux droits de douane ? Lorsque la dépression a commencé en 1929, les actions ont d’abord chuté d’environ 50 %, puis ont récupéré la moitié de leurs pertes. Après que le Sénat a adopté son projet de loi sur les droits de douane en mars 1930, celui-ci a été fusionné avec la version de la Chambre des représentants. Les actions ont atteint un sommet le 17 avril 1930, puis ont commencé à chuter pour atteindre un niveau plancher de 89 % inférieur au sommet atteint en 1929.

Aujourd’hui, les actions ont chuté de plus de 11 % au cours des deux jours qui ont suivi l’annonce du 2 avril. Bien que la chute ne soit que de 11 %, la situation pourrait facilement empirer si les États-Unis ne parviennent pas à conclure de nouveaux accords avec leurs partenaires commerciaux.

Dans une interview accordée lundi matin, le conseiller économique de la Maison-Blanche, Kevin Haslett, a déclaré que Donald Trump envisageait une pause de 90 jours. La moyenne du Dow Jones a augmenté de 1 800 points au cours des sept minutes qui ont suivi la nouvelle. Puis Donald Trump a déclaré qu’il s’agissait de « fake news » et les actions ont de nouveau chuté. Il est impossible de savoir à quoi s’attendre avec des messages aussi contradictoires émanant de la Maison-Blanche.

L’incertitude est le principal obstacle à un marché boursier florissant. Lorsque les entreprises ne connaissent pas les règles, elles restent sur la touche jusqu’à ce qu’elles les connaissent. Plusieurs entreprises parlent de licenciements. Larry Fink, directeur de BlackRock, pense que les États-Unis sont déjà en récession. Il a déclaré que ce sentiment était partagé par de nombreux PDG avec lesquels il s’est entretenu.

 

Droits de douane : tactique de négociation ou politique à long terme ?

Les droits de douane sont-ils une tactique de négociation ou une source de revenus à long terme pour le gouvernement américain ? Ces deux arguments ont été cités par le gouvernement à divers moments, et ils sont contradictoires.

Si les droits de douane sont une tactique de négociation, ils seront de courte durée. Dans ce cas, on voit mal les entreprises consacrer du temps et de l’argent à la construction de nouvelles installations aux États-Unis. Parce qu’il faut entre trois et cinq ans pour qu’une nouvelle usine soit opérationnelle. Si les droits de douane sont maintenus aussi longtemps, le marché boursier et l’économie pourraient en souffrir considérablement.

Si les droits de douane sont conçus pour ramener l’industrie manufacturière aux États-Unis et augmenter les recettes, les négociations d’aujourd’hui ne sont pas nécessaires. Donald Trump a déclaré que les droits de douane étaient les deux à la fois. Qu’est-ce qui est vrai ? Personne ne le sait, pas même le président américain. Les règles changent tous les jours.

Les États-Unis sont entrés dans une période de grande incertitude, avec une économie qui vacille et des actions qui s’effondrent. Seul l’avenir nous dira si l’issue sera conforme aux déclarations du président américain. En attendant, tout ce que l’on peut faire, c’est attendre, car personne ne sait vraiment ce qui va se passer.

 

Une contribution de Mike Patton pour Forbes US, traduite par Flora Lucas


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