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Le Cybertruck de Tesla : le plus grand échec de l’industrie automobile depuis des décennies

Cybertruck
Des passionnés attendent de tester le Cybertruck de Tesla, lors du salon de l'automobile de Los Angeles, le 23 novembre 2024. Getty Images

Le pick-up au design polygonal d’Elon Musk est un échec commercial polarisant qui a manqué l’objectif de volume du milliardaire de 84 %. Et à ce stade, aucun signe ne laisse présager un retournement de tendance.

 

L’histoire de l’automobile regorge de flops mémorables — de l’Edsel de Ford à la Pinto qui explosait, en passant par le Pontiac Aztek de General Motors au design peu flatteur. Même la célèbre DMC-12 en acier inoxydable de John DeLorean, rendue mythique par Retour vers le futur, s’est soldée par un échec commercial ayant précipité la faillite de l’entreprise.

Aujourd’hui, le Cybertruck de Tesla, le véhicule favori d’Elon Musk au look futuriste, semble s’ajouter à cette liste. Plus d’un an après son lancement, ce pick-up de trois tonnes vendu à partir de 82 000 dollars est loin d’avoir atteint les objectifs de ventes ambitieux fixés par Musk. Avec huit rappels en treize mois – dont le plus récent pour des panneaux de carrosserie qui se détachent – et un design qui divise, le Cybertruck est devenu la cible des blagues et des critiques.

Toutefois, ce flop ne se limite pas à des ventes décevantes ou à un style discutable : il incarne aussi les tensions entourant Tesla, au cœur de mouvements de protestation mondiaux. Les licenciements massifs orchestrés par le milliardaire, sa posture provocante autour du DOGE et ses prises de position en phase avec l’idéologie MAGA nourrissent un malaise bien plus large autour de la marque. « C’est tout à fait comparable à l’Edsel », estime Eric Noble, président du cabinet de conseil CARLAB et professeur à l’ArtCenter College of Design de Pasadena, en Californie — l’école d’où est sorti Franz von Holzhausen, le designer en chef de Tesla à qui l’on doit les lignes du Cybertruck. « On assiste là à un écart monumental, à un raté de grande ampleur. » Il faut dire qu’Elon Musk lui-même avait donné le ton dès 2019 : « Je ne fais aucune étude de marché », avait-il lancé en novembre cette année-là.

À en croire les chiffres de vente, le Cybertruck fait encore moins bien que l’Edsel, pourtant devenu un symbole du fiasco industriel. Lorsque Ford a lancé l’Edsel en 1958, le constructeur espérait écouler 200 000 exemplaires par an. Il n’en a vendu que 63 000 la première année, avant que les ventes ne s’effondrent en 1959 et que la marque ne soit abandonnée dès 1960.

Elon Musk, lui, visait 250 000 Cybertrucks vendus par an. En 2024, première année complète de commercialisation, Tesla en a écoulé un peu moins de 40 000. Et la tendance ne semble pas s’inverser : les ventes ont encore reculé en janvier et février, selon les données de Cox Automotive.

Les ventes globales de Tesla sont en nette baisse cette année. Au premier trimestre, les livraisons ont reculé de 13 %, atteignant 337 000 unités — bien en dessous des 408 000 attendues par les analystes. Le constructeur ne détaille pas les chiffres du Cybertruck, regroupé avec les Model S et X dans le haut de sa gamme de véhicules. Mais selon l’analyste Ben Kallo, de la société Baird, les ventes du pick-up ont clairement souffert des rappels successifs qui ont nécessité des ajustements. Tesla n’a pas répondu aux sollicitations de la presse.

Ce coup d’arrêt trimestriel vient souligner à quel point les performances du Cybertruck sont loin des promesses d’Elon Musk.
« La demande est exceptionnelle », assurait le milliardaire en novembre 2023, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats, à la veille des premières livraisons. « Plus d’un million de personnes ont réservé la voiture. »

Tesla avait même réorganisé sa Gigafactory d’Austin pour pouvoir produire jusqu’à 250 000 Cybertrucks par an — des investissements massifs dont la rentabilité semble aujourd’hui incertaine.

« Ils ne se sont pas contentés de dire qu’ils voulaient vendre en grande quantité, ils ont pris des mesures concrètes pour y parvenir », explique Glenn Mercer, chercheur et fondateur de la société de conseil GM Automotive à Cleveland. Pourtant, l’idée d’une demande massive s’est révélée prématurée, sans tenir compte des obstacles auto-imposés qui ont freiné les ventes. En effet, en raison de sa taille imposante, le Cybertruck ne respecte pas les normes de sécurité piétons de certains pays, ce qui restreint ses perspectives d’exportation. « Ils n’ont pas réussi à vendre autant que prévu, et il est peu probable que les marchés étrangers, même la Chine, si importante pour Tesla, viennent les sauver », ajoute M. Mercer. « Ce modèle semble vraiment destiné à un marché local.»

Plus de dix ans avant la production du Cybertruck, Musk avait évoqué la possibilité d’un pick-up électrique chez Tesla. Lors de la première présentation de son concept, il avait clairement précisé ne pas vouloir d’un véhicule aux formes classiques, ni même un modèle intermédiaire, comme l’a fait Rivian avec son R1T. « Les pick-up sont les mêmes depuis 100 ans », avait-il insisté. Le Cybertruck, lui, « ne ressemble à rien d’autre », avait-il affirmé, tout en ajoutant lors d’une conférence pour les entrepreneurs de l’espace, début décembre : « Je ne fais aucune étude de marché ».

Le Cybertruck de Musk pourrait bien être le symbole d’un échec retentissant, et pour une bonne raison : « L’échec du Cybertruck est avant tout un manque d’empathie », estime M. Noble de CARLAB, une société qui aide les constructeurs à concevoir des véhicules en se basant sur les attentes des consommateurs. « Tout, de l’agencement de la benne à la configuration de la cabine, en passant par ses performances et divers autres aspects du cycle de vie du véhicule, ne prend pas en compte les besoins de l’acheteur d’un pick-up. »

Le design unique du Cybertruck résulte de deux forces majeures, explique une source proche du développement, qui a souhaité rester anonyme. D’une part, la passion de Musk pour les designs futuristes, et d’autre part, la décision stratégique d’éviter la peinture. En optant pour une carrosserie en acier inoxydable non peinte, Tesla a évité la construction d’un atelier de peinture coûteux, d’une valeur de 200 millions de dollars, tout en réduisant les préoccupations liées à la réglementation environnementale, notamment celles sur les émissions et les eaux de ruissellement souvent associées à ces installations.

En fin de compte, Musk a opté pour un extérieur en acier inoxydable, une décision rappelant celle de Delorean pour sa voiture de sport décevante, il y a plus de quarante ans. Cependant, n’étant pas un ingénieur de production, Musk n’a peut-être pas mesuré pleinement les défis posés par l’acier inoxydable par rapport à des matériaux plus traditionnels comme l’aluminium ou les composites, explique une source proche du dossier. L’acier inoxydable, qui marque facilement les empreintes de doigts – un problème couramment associé aux appareils de cuisine – est difficile à modeler et a tendance à retrouver sa forme d’origine. Ce phénomène explique en partie les problèmes rencontrés avec les panneaux de carrosserie du Cybertruck. « C’est là que je pense qu’ils ont mal évalué le compromis », commente Glenn Mercer. « Ils se sont réjouis de ne pas investir 200 millions de dollars dans un atelier de peinture, mais ils ont probablement dépensé une somme équivalente pour gérer l’acier inoxydable. »

Le développement du Cybertruck, y compris les frais d’outillage à l’usine d’Austin, pourrait avoir coûté près de 900 millions de dollars à Tesla, estime Mercer. Contrairement à d’autres modèles de l’entreprise, tels que la berline Model 3 ou le crossover Model Y, il semble que le Cybertruck n’ait pas permis de mutualiser les coûts de développement et de production avec d’autres produits Tesla. « Ce véhicule a-t-il une technologie qui pourrait être exploitée ailleurs par l’entreprise ? Non », conclut Mercer. « L’usine peut-elle produire d’autres modèles avec les investissements réalisés pour le Cybertruck ? Non. Un véhicule en acier inoxydable non peint n’a tout simplement pas l’attrait qu’il devrait avoir. »

Dès le début, les signes étaient alarmants. Lors de la présentation du Cybertruck en novembre 2019 devant des fans enthousiastes à Los Angeles, une démonstration du verre « blindé » censé être incassable a viré au fiasco lorsque Musk et von Holzhausen ont lancé une bille d’acier sur le véhicule, brisant la vitre côté conducteur à deux reprises. « Oh mon Dieu», a réagi Musk, visiblement dépité.

Puis vint la question du prix. Musk avait promis qu’une version de base avec une autonomie de 250 miles (soit 400 kilomètres) serait disponible à partir de 39 900 dollars. Il s’était lourdement trompé. La version de base, actuellement annoncée à partir de 72 490 dollars aux États-Unis, coûte en réalité 82 235 dollars avant un crédit d’impôt fédéral de 7 500 dollars, que le président Trump a promis de supprimer. Cette version offre une autonomie de 325 miles (520 kilomètres), mais seulement si le camion ne remorque pas et ne roule pas trop vite. La version haut de gamme, le « Cyberbeast », est proposée à 105 735 dollars, un prix trop élevé pour être éligible au crédit d’impôt.

Bien que Tesla n’ait pas encore produit la version d’entrée de gamme promise en 2019, la chute des valeurs de revente a rendu les Cybertrucks d’occasion beaucoup plus abordables. Selon Jalopnik, il est désormais possible d’en acheter un pour moins de 70 000 dollars, à condition de prendre en compte le risque de vandalisme. Et les prix pourraient encore baisser, en raison des quelque 200 millions de dollars de stocks invendus de l’entreprise, rapporte cette semaine Electrek, un site favorable à Tesla.

Au final, Elon Musk a condamné le Cybertruck en négligeant les raisons fondamentales pour lesquelles les gens achètent des pickups : transporter des charges et assurer de bonnes performances en conditions hors route. Le Cybertruck échoue sur les deux fronts, comme l’ont démontré de nombreuses critiques acerbes, une avalanche de vidéos de « Cybertruck fail » et un subreddit « CyberStuck » comptant 280 000 membres. Pour couronner le tout, un sous-genre de vidéos émerge, montrant des Cybertrucks en panne, remorqués par des Ford F-150 ou des Chevrolet Silverado pour être mis à l’abri.

« Si les “Trois Grands” savent faire quelque chose, c’est bien des camionnettes de grande taille avec des acheteurs extrêmement fidèles », a déclaré M. Mercer. « Musk a lancé le Cybertruck directement dans le segment le plus difficile à conquérir. »

 

Un article de Alan Ohnsman pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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