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Biopharmas & Biotechs : des milliards d’investissements dans l’IA pour combien de nouveaux traitements ?

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Biopharmas & Biotechs : des milliards d’investissements dans l’IA pour combien de nouveaux traitements ?

L’intelligence artificielle (IA) est en train de révolutionner la découverte de médicaments, attirant des milliards de dollars d’investissements. Son potentiel est immense : d’ici cinq à dix ans, elle pourrait générer un nombre exponentiel de candidats-médicaments pour traiter davantage de maladies. Elle a récemment permis d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques en cardiologie, d’accélérer la conception d’anticorps innovants ou encore d’optimiser des vaccins à ARNm. Pourtant, concentrer les investissements sur la découverte de médicaments, sans adapter l’ensemble du cycle de R&D, risque de créer un décalage majeur entre les attentes et la réalité.

Une contribution de Sajith Wickramasekara, cofondateur de Benchling

 

La puissance de l’IA freinée par le fonctionnement de la R&D

 


Si l’IA accélère les étapes de la découverte, elle se heurte aussi à un système de R&D trop souvent rigide et inefficace. Les coûts de développement pharmaceutique ont explosé : une grande entreprise dépense aujourd’hui plus de 6 milliards de dollars par médicament approuvé, contre seulement 40 millions dans les années 1950 (ajusté à l’inflation). Or, près de 85 % de ces dépenses surviennent après la phase de découverte, notamment lors des essais cliniques et des procédures réglementaires.

L’inégalité entre la rapidité de la découverte assistée par IA et la lenteur du reste du processus crée un réel goulet d’étranglement. Si l’IA n’est pas appliquée à toutes les étapes du cycle de développement du médicament, de nombreux traitements prometteurs risquent fort de ne jamais parvenir aux patients.

 

Repenser le cycle R&D dans son ensemble avec l’IA

 

Au-delà de son application aux processus existants, l’IA implique une réinvention structurelle de la R&D. Citons l’exemple de l’expérimentation en laboratoire : chaque candidat généré par IA est testé, ce qui génère des données expérimentales essentielles à l’amélioration des modèles d’IA eux-mêmes. Ce cycle continu, véritable “laboratoire auto-alimenté”, implique que les laboratoires puissent absorber une quantité énorme de résultats d’expériences.

Optimiser les processus manuels ne suffit plus, il s’agit plutôt de systématiser l’usage de technologies avancées comme l’imagerie complexe, les tests single-cell omics et l’automatisation. Cette transition est freinée par le manque d’ingénieurs spécialisés dans l’analyse des nouvelles données et le pilotage des robots alors que l’IA pourrait clairement combler cette lacune. Des modèles comme scGPT automatisent des tâches analytiques complexes, réduisant le besoin en codage et facilitant la configuration des automates via un langage naturel simple. Ces avancées permettront aux laboratoires de fonctionner à plus grande échelle, accélérant ainsi la mise au point de nouveaux traitements.

Les essais cliniques constituent un autre défi majeur. Le recrutement de patients, souvent long et coûteux, ralentit considérablement le développement des médicaments. Le principe de randomisation, pourtant justifié, prive les participants du contrôle de leur traitement, freinant leur engagement. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a récemment approuvé l’utilisation de modèles d’IA pour créer des groupes témoins simulés à partir de données historiques, réduisant ainsi le nombre de participants nécessaires et accélérant les essais.

La gestion des connaissances représente elle-aussi un chantier colossal. Pour traduire les données de R&D en décisions et en documentation, les modèles de langage spécialisés en sciences de la vie, comme BioGPT et BioMedGPT-LM, peuvent aider à automatiser ces tâches, mais leur efficacité dépendra d’une meilleure structuration et d’un meilleur partage des données de R&D, surtout en présence de centaines d’applications logicielles au sein des laboratoires.

 

L’IA va transformer les règles de concurrence dans les biopharmas

 

L’impact de l’IA ne s’arrête pas à la R&D : elle redéfinit aussi la compétition entre entreprises biopharmaceutiques. Récemment, la biotech ProFluent Bio a rendu open source un éditeur de gènes CRISPR conçu par IA, un choix jusqu’alors impensable. Quand les scientifiques pourront concevoir bien plus de médicaments qu’il ne sera possible d’en commercialiser, la rapidité d’exécution primera sur la protection de la propriété intellectuelle.

L’accès aux données expérimentales sera crucial. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises verrouillent leurs bases de données, freinant ainsi les avancées collectives. Pourtant, des succès comme AlphaFold2 et AlphaFold3 – qui ont révolutionné la prédiction des structures protéiques – sont le fruit d’une approche open source et du libre accès aux données.

Si l’industrie technologique a su tirer parti de l’open source pour accélérer l’innovation, le secteur biopharmaceutique peut adopter une logique similaire, stimulant la recherche et optimisant les modèles d’IA.

 

L’ère de la biopharmacie pilotée par l’IA

 

Nous sommes aux prémices d’une révolution biopharmaceutique portée par l’IA. Cependant, si les infrastructures de R&D restent figées dans leurs schémas traditionnels, les promesses de cette technologie risquent de rester inabouties. L’IA ne doit pas seulement accélérer la découverte de médicaments : elle est capable de stimuler toutes les étapes du cycle de développement pour en optimiser l’efficacité et réduire les coûts.

En modernisant laboratoires, essais cliniques et processus réglementaires, l’IA pourrait remplir un grand objectif : accélérer la mise au point de traitements pour les milliers de maladies encore incurables aujourd’hui. L’opportunité est immense, à condition d’adopter une vision systémique de cette transformation.

 


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