Identité numérique. Un terme qui laisse aujourd’hui pantois la majorité de nos citoyens. En effet, bien que la littérature sur le sujet soit florissante, ce processus novateur d’identification des individus semble être, tel un fantasme futuriste, très éloigné de notre réalité. Pourtant, les déboires entrainés par des difficultés d’identification dans nos usages quotidiens sont déjà massivement rencontrés : usurpation, fraude bancaire, arnaques sur les marketplaces entre particuliers, mises en location de lieux de vacances qui n’existent pas, etc. Et si les acteurs privés sont plus que jamais prêts à se lancer sur ce marché, la question de l’identité – en ce qu’elle est basée sur un titre émis par l’État – reste avant tout un sujet régalien. Ainsi, si nous voulons généraliser les usages et offrir des solutions éthiques, inclusives et souveraines aux français, il est urgent que nos dirigeants montrent le cap à suivre… et s’y tiennent.
Une contribution de Jérôme Filhol, Directeur des Partenariats & Expert IA chez Luminess
Pour une identité numérique éthique et inclusive
Certaines innovations technologiques dans le domaine de l’identification – telles que la reconnaissance faciale et la détermination de l’âge sur la base de flux vidéo – suscitent de vives préoccupations. Jugées intrusives, elles soulèvent notamment des questions éthiques. Pour preuve : lors des JO de Paris 2024, malgré des enjeux sécuritaires immenses, le gouvernement a finalement renoncé à leur utilisation au regard de leur impact sur la vie privée, mais aussi compte tenu du symbole de surveillance de masse que cela représente. Face aux dérives potentielles de telles technologies, il est donc essentiel que nos dirigeants favorisent des solutions de type cartes à puce équipées de NFC (communication en champ proche) qui garantissent une identification fiable tout en respectant la vie privée et l’intégrité des utilisateurs.
Plus encore, pour imaginer une généralisation des usages en matière d’identité numérique, la notion d’inclusivité doit être au cœur de son développement. Or, certains publics pourraient rapidement se trouver exclus. C’est notamment le cas des non « digital natives », ou en d’autres termes : les seniors. Il est donc important d’anticiper dès à présent la mise en place de dispositifs pour aider ce public cible à s’acculturer à ces usages d’un nouveau genre. Des réseaux gouvernementaux existants, tels que les maisons France Services (qui visent à accompagner les citoyens dans leurs démarches administratives) pourraient être très utiles dans ce cadre, bien que leur couverture du territoire reste encore insuffisante.
Enfin, l’application France Identité (portée par l’État via l’ANTS, l’Agence Nationale des Titres Sécurisés) ne fonctionne que pour les citoyens bénéficiant de la nouvelle carte d’identité (environ 20% de la population à ce jour, selon les chiffres officiels) ou ET disposant dans leur environnement proche d’une mairie équipée des dispositifs techniques lui permettant de faire certifier leur identité numérique. Si les ambitions pour accélérer tout à la fois le déploiement des cartes nouvelle génération et l’équipement des mairies sont grandes, celles-ci doivent donc se concrétiser rapidement pour offrir un usage inclusif de cette technologie.
Pour une identité numérique souveraine
C’est un fait partagé par tous : l’association public x privé est aujourd’hui essentielle au bon développement des solutions d’identité numérique. L’organisation France Identité elle-même, par la voix de son responsable programme, clamait encore il y a peu qu’il est de son ressort de déployer les services régaliens (procuration de vote, contrôle du permis, , contrôles douanier, etc.) et aux acteurs privés d’enrichir cette technologie de dispositifs et d’usages complémentaires et innovants pour les acteur privés. Mais comment s’assurer, d’autant plus dans un contexte politique des plus instables, que cette affirmation soit encore vraie demain ? Les acteurs privés seront-ils ne serait-ce qu’autorisés à lire la puce d’une carte d’identité ? Alors qu’il s’agit là de sujets à même de structurer tout un marché en devenir, il est essentiel qu’une ligne directrice claire et stable soit définie rapidement aux plus hauts niveaux de l’État.
En France, le référentiel actuel pour la vérification d’identité à distance (PVID) impose un protocole complexe et coûteux, sans que l’on ne sache clairement comment il pourrait évoluer à l’avenir. Ce référentiel – parmi les plus stricts au monde – renforce la sécurité, mais impose aux entreprises françaises des investissements élevés et une maintenance lourde, sans garantie de pérennité. De plus, ces dernières doivent composer avec les discussions en cours sur l’harmonisation des règles au niveau européen (eIDAS V2, Electronic Identification, Authentication and Trust Services). Or, ces évolutions pourraient affaiblir la compétitivité des acteurs français et mettre en péril les investissements déjà réalisés. En effet, les exigences élevées imposées par les autorités françaises, comme l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI), rendent les processus plus coûteux et complexes pour les entreprises nationales que pour certains de leurs voisins européens.Un déséquilibre qui pourrait même profiter aux géants du numérique (GAFA), qui développent déjà des solutions innovantes et concurrentielles dans les secteurs bancaire et assurantiel.
Enfin, pour permettre l’émergence de leaders français dans le domaine de l’identité numérique, il est essentiel d’assurer un modèle économique viable pour les acteurs privés. Actuellement, le modèle proposé par FranceConnect+ demeure flou. Si son utilisation est gratuite pour les citoyens, les entreprises qui investissent pour intégrer cette plateforme doivent encore comprendre les moyens qui seront les leurs pour rentabiliser leurs efforts à long terme. Bien qu’elles puissent proposer des services additionnels aux particuliers, le potentiel de ce marché reste incertain.
Si nous ne pouvons que souligner positivement les initiatives étatiques récentes en matière d’identité numérique, il est désormais urgent de partager une vision prospective claire du marché avec toutes les parties prenantes, tant publiques que privées… Comme ce fut le cas par le passé pour d’autres secteurs clés. Que seraient aujourd’hui les Télécoms si l’on s’était contenté des seuls PPT à l’époque ? L’entrée sur ce marché d’une poignée d’acteurs privés a permis des investissements d’envergure et des avancées majeures en termes d’usages (ex. couverture des zones blanches). De la même manière, il ne reste aujourd’hui qu’un cap à tracer pour voir naître un écosystème de l’identité numérique français régulé, structuré… Et surtout innovant.
À lire également : Comment le portefeuille d’identité numérique de l’UE pourrait transformer le paysage du paiement
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