Julia Carter, fondatrice de Craft Travel, une agence spécialisée dans les voyages de luxe sur mesure, observe une évolution marquante du tourisme : en cinq ans, le nombre de clients plaçant la durabilité et la conservation au sommet de leurs priorités pour des séjours haut de gamme a bondi de 270 %.
« Nous constatons un changement », explique Harriet Pike, responsable de la Patagonie chez Swoop Patagonia. Les voyageurs qu’elle rencontre ne se contentent plus de prendre l’avion, de randonner et de repartir. Désormais, ils accordent une attention croissante à l’impact de leur séjour, s’assurant que les lodges haut de gamme où ils résident soutiennent réellement la conservation et que le tourisme ne fragilise pas les écosystèmes sensibles de la région.
Mais comment s’assurer que les vacances choisies sont en phase avec ses valeurs ? Et comment différencier les expériences réellement éthiques de celles qui ne font que le prétendre ?
Un voyage éthique commence par une recherche approfondie
Liesel van Zyl, responsable de l’impact positif et du développement de produits chez Go2Africa – une agence collaborant avec un millier de partenaires à travers l’Afrique depuis 1998 – souligne la complexité du choix : « Il n’est pas toujours évident de s’en rendre compte au premier regard. C’est pourquoi nous menons des audits approfondis avant de décider de travailler avec un partenaire. »
Plusieurs agences insistent d’ailleurs sur l’importance d’un processus de sélection rigoureux. Louise Truman, fondatrice de Plotpackers, explique qu’il est plus simple d’identifier un opérateur responsable dans les destinations où la conservation est strictement encadrée par les autorités. En revanche, l’absence de réglementation complique la tâche. Pour contourner cet écueil, elle s’appuie sur les recommandations scientifiques d’organisations de référence et sur l’expertise de son équipe afin de garantir des expériences véritablement respectueuses de la faune et de la flore.
Comment les voyageurs peuvent-ils s’assurer d’un tourisme éthique ? Des experts du secteur livrent leurs conseils et recommandations pour choisir un voyage respectueux de la vie sauvage.
Si les animaux sauvages agissent différemment, c’est que vous êtes trop près d’eux
« Tout changement dans le comportement naturel d’un animal est un signal d’alarme. La faune ne doit pas modifier son attitude à cause de votre présence », prévient Andrew Roberts, cofondateur d’EXP Journeys, une agence de voyages de luxe spécialisée dans les excursions privées en petit groupe. Il rappelle que chaque détail compte, qu’il s’agisse de marcher sur une fleur sauvage ou de nourrir un écureuil, car le moindre geste peut avoir des conséquences sur l’écosystème.
Cristian Asún, responsable des expéditions à The Singular Patagonia, insiste sur l’importance de garder ses distances, de limiter le bruit, de parler à voix basse et d’utiliser son appareil photo en mode silencieux. « Si un puma est en pleine chasse, un mouvement brusque ou une présence humaine mal placée peut le stresser et l’obliger à abandonner sa proie, ce qui pourrait compromettre sa survie », explique-t-il.
« Les orangs-outans sont particulièrement vulnérables », explique Leigh Barnes, président de la région Amériques chez Intrepid Travel. « Toute modification de leur comportement naturel – augmentation du stress ou altération des interactions sociales – peut nuire à leur bien-être. »
Pour Praveen Moman, fondateur de Volcanoes Safaris, le tourisme responsable repose sur un principe simple : observer les animaux dans leur habitat sans interférer avec eux. « Nous avons le privilège de les voir évoluer dans la nature, mais nous devons tous respecter des règles pour assurer leur survie », insiste-t-il.
Règle n° 1 : poser les bonnes questions. Comment l’interaction avec la faune est-elle encadrée ? Les guides sont-ils formés pour éviter de stresser les animaux ? Quel est le plan à long terme pour protéger la nature, la faune et les communautés locales ? Une politique de protection des animaux est-elle en place ?
Pourquoi les destinations surpeuplées nuisent-elles à la faune et aux voyageurs ?
Nick Pulley, fondateur du voyagiste Selective Asia, certifié B-Corp, met en garde contre le surtourisme et ses effets néfastes sur les habitats naturels lorsque les entreprises privilégient les expériences les plus populaires en matière de faune et de flore.
Selon lui, l’afflux massif de visiteurs entraîne pollution, accumulation de déchets et détérioration des écosystèmes sous l’effet du passage répété des véhicules. Les jeeps de safari qui encerclent les animaux pour capturer la « photo parfaite digne d’un documentaire » perturbent leur comportement et augmentent les risques pour la sécurité des voyageurs.
M. Roberts, d’EXP Journeys, reconnaît que l’observation de la faune est une motivation clé pour de nombreux touristes, mais souligne qu’un circuit bruyant en bus de 50 personnes n’est pas la meilleure manière d’y parvenir.
Il reconnaît que les grands groupes ont inévitablement un impact plus marqué. Un bus de 50 visiteurs peut saturer des infrastructures limitées, abîmer les sentiers et exercer une pression excessive sur l’environnement.
Règle n° 2 : ne pas suivre aveuglément les listes de « best of ». Même si les destinations les plus prisées offrent souvent une forte concentration d’animaux sauvages, mieux vaut privilégier des régions plus confidentielles et moins fréquentées, ainsi que des expériences plus immersives qui limitent l’empreinte des visiteurs.
Les animaux sauvages ne sont pas là pour être touchés, il est essentiel de respecter leurs limites
« Seuls les animaux domestiqués recherchent réellement le contact avec les humains », affirme Rob Perkins, rédacteur chez Responsible Travel. « Certains animaux sauvages, particulièrement intelligents, peuvent faire preuve de curiosité envers nous, mais cela ne signifie pas qu’ils souhaitent être approchés. C’est toujours à l’animal de décider s’il veut s’approcher d’un touriste », insiste-t-il.
Les jeunes gorilles, par exemple, sont connus pour leur curiosité et leur tendance à s’approcher des humains, explique Praveen Moman de Volcanoes Safaris. Une proximité qui comporte deux risques majeurs : la mère ou le dos argenté dominant peut percevoir une menace et réagir de manière agressive, tandis que le juvénile, lui, peut être exposé à des maladies humaines, malgré la règle imposant le port du masque lors des randonnées d’observation des gorilles.
Toutefois, ce type de rencontre spontanée dans la nature ne constitue pas une alerte en soi. Ce sont plutôt les activités qui encouragent une interaction forcée avec la faune, comme monter à dos d’éléphant, câliner un koala ou prendre un selfie avec un animal sauvage, qui posent un problème éthique, avertit Leigh Barnes d’Intrepid Travel.
Règle n° 3 : vérifier les pratiques du voyagiste. Consultez son site web, explorez ses réseaux sociaux et lisez les avis laissés par d’anciens voyageurs pour comprendre comment les interactions avec les animaux sont encadrées. Voyez-vous des photos de visiteurs touchant, nourrissant ou maintenant des animaux en captivité ?
Les animaux sauvages ne sont pas des animaux de compagnie et ne doivent pas être humanisés
Les animaux dits « apprivoisés » sont souvent victimes de mauvais traitements destinés à les rendre plus dociles face aux interactions humaines. Ces pratiques incluent des punitions physiques, des conditions de vie en captivité ou l’administration de médicaments, explique Leigh Barnes.
Il cite notamment le cas des loris lents en Asie. Leur apparence attendrissante et leurs grands yeux séduisent les touristes, ce qui en fait une cible pour le commerce illégal. Arrachés à leur milieu naturel, ces primates subissent des mutilations : leurs dents sont coupées ou extraites pour les empêcher de mordre les visiteurs.
Un autre exemple est celui des gibbons utilisés comme accessoires pour les photos. Le Gibbon Rehabilitation Project estime que pour chaque gibbon capturé illégalement dans la nature, 10 à 15 sont tués au cours du processus.
« Les paresseux, avec leur expression naturellement souriante, sont souvent exploités comme attractions pour desphotos », explique Cecilia Pamich, directrice du développement et de la communication à la Sloth Conservation Foundation. Pourtant, le contact physique avec les humains provoque chez eux une hausse de la pression artérielle. Ces animaux intériorisent leur stress, ce qui le rend difficile à détecter. « Si un paresseux lève une patte au-dessus de sa tête, ce n’est ni un signe de la main ni une demande de câlin. C’est une réaction de peur », avertit-elle.
Leigh Barnes rappelle qu’il ne faut jamais interpréter le comportement d’un animal sauvage comme s’il s’agissait d’un humain. « Nous pensons qu’il est essentiel de laisser les animaux faire ce qu’ils savent faire de mieux : vivre dans leur habitat naturel », insiste-t-il.
Règle n° 4 : consulter le site web du voyagiste, ses réseaux sociaux et les avis des voyageurs pour comprendre ce qui se passe réellement sur place. Les animaux sont-ils mis en scène ? Sont-ils forcés d’adopter des comportements humains, comme peindre, faire du vélo ou se battre ? Si oui, mieux vaut passer son chemin.
Pourquoi la captivité nuit-elle presque toujours aux animaux ?
Leigh Barnes souligne que la captivité n’est acceptable que si elle place le bien-être de l’animal au premier plan et respecte les normes de soins les plus strictes.
Liesel van Zyl, de Go2Africa, reconnaît que certains sanctuaires, dédiés à la réhabilitation et à la réintroduction des animaux sauvés ou orphelins, jouent un rôle essentiel dans la conservation. En revanche, elle s’oppose fermement aux établissements qui maintiennent des animaux en captivité à des fins d’élevage, de commerce ou de divertissement.
« Vous pouvez poser des questions comme : quel est votre plan à long terme pour les animaux recueillis ? Où vont les revenus générés par le tourisme ? Selon les réponses, il est tout à fait légitime de dire : “Je ne suis pas à l’aise avec ça” et d’interpeller les responsables », explique-t-elle.
Rob Perkins, de Responsible Travel, met en garde contre les signaux d’alerte. « Si le site web d’un sanctuaire d’éléphants affiche des photos de foules, notamment de jeunes enfants, baignant les éléphants dans des bassins peu profonds, c’est un indicateur clair qu’il vaut mieux chercher un autre établissement qui ne privilégie pas le plaisir des touristes au détriment du bien-être animal », prévient-il.
Règle n° 5 : le fait de voir le nom « sanctuaire » ne garantit pas des rencontres éthiques avec les animaux sauvages. Faites des recherches, regardez les photos et lisez les commentaires pour mieux comprendre le fonctionnement du sanctuaire.
Un tourisme animalier responsable commence par une approche éthique
« Beaucoup de voyageurs qui visitent des attractions animalières ou interagissent avec des animaux sauvages ne réalisent pas qu’ils contribuent, sans le savoir, à un cycle de maltraitance », alerte Leigh Barnes d’Intrepid Travel. « Le problème, c’est que chaque participation à ces expériences renforce un modèle économique qui perpétue les mauvais traitements infligés aux animaux », insiste-t-il.
Louise Truman, de Plotpackers, partage cette analyse et souligne que le tourisme animalier responsable doit avant tout protéger la faune dans son habitat naturel, tout en apportant des bénéfices aux communautés locales. Mais atteindre cet équilibre demande une sélection rigoureuse des opérateurs, en privilégiant ceux qui mettent la conservation au cœur de leur approche, plutôt que ceux qui misent uniquement sur l’exploitation commerciale des animaux.
Lorsqu’il est bien encadré, le tourisme peut être une véritable force de préservation, affirme Alisha Watson, responsable des relations chez Love to Explore. Il peut financer des initiatives de conservation et encourager des pratiques durables. « Un tourisme éthique profite non seulement aux espèces sauvages, mais aussi aux populations locales qui s’engagent à les protéger », souligne-t-elle.
Une contribution de Emese Maczko pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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