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Future of World | Comment les puissances moyennes vont reconfigurer l’économie mondiale

SAINT PETERSBURG, RUSSIA – 2024/09/11: The BRICS logo seen during the meeting of the dialogue of high representatives of the BRICS states in charge of security issues with the countries of the Global South in St. Petersburg, at the Boris Yeltsin Library. (Photo by Maksim Konstantinov/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Le terme même de « puissance moyenne » constitue un paradoxe, voire un oxymore. Comment une nation peut-elle être à la fois « puissante » et « moyenne » ? En vérité, cette contradiction apparente est ce qui confère toute leur singularité à ces pays, dont l’influence croissante pourrait bien redéfinir les règles de l’économie mondiale. De surcroit, comme le souligne le diplomate Michel Duclos dans une analyse récente consacrée au sujet « chez eux, l’absence d’orientation idéologique renforce l’instinct transactionnel qui conditionne leurs politiques ». Cette double dimension trouve tout son sens à l’ère de la multipolarité économique et géopolitique, et conditionnera la nouvelle logique de blocs économiques. Voilà pourquoi. 

Historiquement, l’idée de « puissance moyenne » a pris forme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est alors que des pays tels que le Canada, l’Australie ou les Pays-Bas se sont distingués par leur capacité à exercer une influence disproportionnée par rapport à leur taille ou à leur puissance militaire. Cependant, ce n’est que dans les années 1990 que le concept a commencé à être pris au sérieux, notamment grâce à l’émergence de pays capables de jouer un rôle d’équilibriste dans les arènes internationales, sans pour autant prétendre à un statut de superpuissance.

Les nouvelles têtes de proue de l’économie mondiale

Aujourd’hui, les puissances moyennes apparaissent comme les nouveaux piliers de la mondialisation. À la faveur d’un monde en pleine recomposition géopolitique, ces nations ont su tirer parti de leur capacité d’adaptation et de leur agilité économique pour se positionner comme des acteurs incontournables. Face à l’affrontement géoéconomique entre les États-Unis et la Chine, l’Europe semble de plus en plus peiner à assumer son rôle d’arbitre. C’est dans cet interstice que les puissances moyennes ont su s’engouffrer, apportant une alternative crédible à l’hégémonie des deux géants.

Ces puissances moyennes, que l’on peut regrouper par blocs géographiques ou sectoriels, pèsent aujourd’hui un poids significatif. À titre d’exemple, les pays de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est), qui comptent parmi les puissances moyennes les plus dynamiques, représentent à eux seuls un PIB combiné de plus de 3 000 milliards de dollars, faisant de cette région la cinquième économie mondiale. De la même manière, le bloc des pays du Golfe, emmené par des États comme le Qatar et les Émirats arabes unis, affiche un PIB cumulé dépassant les 1 500 milliards de dollars.

Leur importance a été particulièrement mise en lumière à la suite de la pandémie de Covid-19, qui a révélé la dépendance excessive des pays occidentaux à l’égard de l’outil productif d’Asie du Sud-Est. En réponse à cette fragilité, des nations comme le Vietnam, l’Indonésie ou le Maroc ont su capitaliser sur leur capacité à proposer des alternatives viables aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Ces pays agissent désormais comme de véritables « connecteurs » de la mondialisation, facilitant les échanges et la relocalisation des processus industriels dans un contexte de tensions sino-américaines.

Quel alignement potentiel des puissances moyennes ?

L’un des enjeux majeurs de la prochaine décennie sera la capacité des puissances moyennes à regrouper leurs efforts pour faire contrepoids aux grands ensembles géopolitiques, tels que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Bien que ces derniers représentent un poids économique colossal – cumulant près de 25 % du PIB mondial et 40 % de la population planétaire – ils demeurent profondément hétérogènes. Leurs divergences sur les questions de gouvernance, de politique monétaire ou encore de stratégie énergétique constituent autant de freins à l’émergence d’un véritable bloc unifié.

Le « Sud global », concept popularisé dans les années 2000, prétend rassembler ces pays sous une bannière commune. Pourtant, en dépit de son potentiel économique, il demeure encore plus fragmenté et incohérent que les BRICS. Les différences de régimes politiques, de niveaux de développement et d’intérêts géostratégiques font que l’unité de ce « Sud » est largement illusoire. En revanche, les puissances moyennes, qui partagent souvent des trajectoires de développement similaires et des aspirations convergentes, semblent mieux placées pour former des alliances sectorielles ou régionales.

On peut imaginer, par exemple, des coopérations renforcées dans des secteurs d’avenir comme les énergies renouvelables, la santé ou la technologie. La montée en puissance de blocs comme l’Alliance du Pacifique (Colombie, Mexique, Pérou et Chili), qui représente un PIB combiné de 2 200 milliards de dollars, témoigne de la capacité des puissances moyennes à s’organiser et à proposer des alternatives crédibles aux grands pôles d’influence traditionnels.

Les puissances moyennes, catalyseurs de la transformation mondiale ?

Au-delà de leur poids économique, les puissances moyennes ont également la capacité de proposer des réponses innovantes aux grands défis contemporains, qu’il s’agisse du partage de la chaîne de valeur mondiale, de la lutte contre le changement climatique ou de la préservation des ressources naturelles.

Prenons le cas du Brésil, un pays qui illustre parfaitement cette capacité d’adaptation et d’affirmation. Membre à la fois des BRICS, du Sud global, et figure de proue des puissances moyennes, le Brésil a récemment démontré sa volonté de défendre sa souveraineté numérique en interdisant la plateforme X (anciennement Twitter) sur son territoire pour non-respect de la législation brésilienne le 13 septembre 2024, après plusieurs avertissements de l’Autorité brésilienne de régulation. Ce geste inédit pourrait bien ouvrir la voie à une « revanche des humiliés », ces pays qui, longtemps marginalisés ou contraints de suivre les règles imposées par les puissances traditionnelles, commencent à reprendre leur destin en main.

Les exemples potentiels de cette nouvelle ère ne manquent pas : on pense à l’Indonésie, qui redéfinit les règles du jeu en matière d’exportation de nickel, ou encore au Kenya, qui s’est imposé comme un hub technologique en Afrique, dictant les conditions de son intégration aux chaînes de valeur mondiales.

Une ère de transformation mondiale à portée de main

Alors que le monde s’engage dans une phase de transformation majeure, les puissances moyennes apparaissent comme des catalyseurs de ce mouvement. Ni géants ni nains, elles possèdent l’agilité, la résilience et la vision nécessaires pour proposer une nouvelle voie de développement et de coopération internationale. Plus qu’une simple alternative, elles représentent le ferment d’un monde multipolaire, où le pouvoir n’est plus le monopole des quelques-uns, mais un bien partagé par les nombreux.

Leur montée en puissance pose une question essentielle : et si, au final, la véritable force ne résidait pas dans la taille, mais dans la capacité à se réinventer et à se connecter aux autres ? C’est peut-être là la plus grande leçon que les puissances moyennes nous offrent dans cette quête d’un futur plus équilibré.

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