La peur des robots est un sentiment concomitant à la modernité : l’homme a le contrôle sur les objets, peut même leur donner vie ; mais qu’arriverait-il s’il donnait vie à un objet qui le dépassait ? Ce thème se retrouve abondamment dans la littérature de science-fiction qui, elle-même, est née avec le début de l’ère moderne. On ne sera pas surpris de découvrir que le développement des robots a commencé dès le début du XXe siècle, et s’est donc toujours accompagné de peurs.
Il existe d’ailleurs un phénomène psychologique, connu sous le nom d’uncanny valley qui explique en partie cette angoisse : il s’agit du malaise généré chez un être humain par la présence d’un être artificiel qui lui ressemble. Plus la chose (l’objet) ressemble à la personne (le sujet), plus le malaise est grand.
Aujourd’hui cette peur a pris un tournant plus pragmatique. L’arrivée effective des robots dans le monde du travail a réalisé cette confrontation avec les machines. Les robots sont aujourd’hui là, avec nous, à la caisse du supermarché, à la Poste ou dans le hall de votre banque, et ils seront encore plus nombreux demain. Ils ne sont plus seulement installés dans les chaînes de montage des usines, mais sont aujourd’hui programmables et utilisables dans des emplois de services. La peur s’est donc déplacée du métaphysique au concret : les robots vont-ils voler nos emplois ?
Pas si sûr ! Si l’arrivée des robots va certainement générer une modification profonde du monde du travail, elle ne devrait pas créer de peurs irraisonnées. En effet, elle réserve l’opportunité de changer nos habitudes dès aujourd’hui et de créer des emplois différemment.
La robolution dans les faits
La « robolution » (mot-valise créé par Bruno Bonnell, père de la robotique française, à partir de robot et de révolution) est en marche. On est aujourd’hui bien au-delà des prémices : nous arrivons au temps des premières grandes réalisations.
Dans le domaine de l’automatisation des tâches, les Sud-Coréens et les Japonais sont leaders. Néanmoins, le pas est pris par tous les pays développés. Entre 2010 et 2015, la demande mondiale de robots a augmenté, chaque année, de 16%, pour atteindre des ventes de plus de 250 000 robots sur l’année 2015. La Chine, à elle seule, représente 27% de ce chiffre.
En 2014, Adidas a ouvert en grande pompe (si j’ose dire), à Ansbach (Bavière), sa première usine entièrement robotisée. Les chaussures y sont fabriquées de A à Z par des robots, ce qui a énormément réduit les coûts et le temps de fabrication, ainsi que le taux d’erreur.
Toutefois, la robotisation des chaînes de travail industrielles n’est pas un phénomène nouveau. Les exemples les plus marquants de cette révolution robotique se trouvent ailleurs : dans les domaines où le contact humain avait pour l’instant été privilégié.
Ainsi au Japon, le projet social d’une vie partagée avec les robots a-t-il vu le jour dès le début des années 1980 et l’arrivée des premiers robots industriels complexes. Aujourd’hui, on y développe la robotique dite « sociale » et « de service ». Les robots entreront bientôt dans le domaine de l’éducation (le système de garde d’enfant RoHo), de la santé (Robear, le robot capable de transporter les patients les plus fragiles) ou le secours aux victimes de catastrophes naturelles (le robot Sakura N°2). Même l’agriculture ouvre ses portes à l’automatisation puisque, cette année, la première ferme entièrement robotisée ouvrira à Kizugawa, au sud de Kyoto. Seul le plantage des graines y sera encore traité à la main.
Intelligence artificielle : des contextes variés
Il est important, pour bien analyser ce qu’implique ce changement de paradigme, de prendre en compte les divers contextes socio-économiques nationaux. En effet l’ouverture d’une usine robotisée en Allemagne ne répond pas aux mêmes attentes que la robotisation à pleine puissance du Japon.
Dans le cas allemand, l’usine Adidas d’Ansbach a été reçue avec beaucoup d’amertume à l’époque de son implantation : derrière la relocalisation de l’usine, qui paraissait être une bonne nouvelle, peu d’emplois ont été créés. Le bénéfice de cette opération était surtout pour Adidas (production plus effective, amoindrissement des coûts de transport et valeur ajoutée en terme de communication sur les prouesses techniques de la marque).
Au Japon, le recours de plus en plus important à la robotisation répond à un besoin tout autre : le manque de travailleurs, dans un pays dont la population ne cesse de baisser (de 127 millions on estime qu’elle pourrait tomber à 100 millions en 2050), occasionne une baisse de la productivité. Les robots sont alors vus comme une solution adéquate, aussi bien pour les entreprises que pour le public.
Dans les deux cas toutefois, une chose est sûre : la robotisation entraîne quand même la création de nouveau emplois. Il s’agit toujours d’emplois avec des niveaux élevés de qualification technique, et qui occasionnent des besoins de formations novatrices, qui elles aussi génèrent du travail. La perte de certains postes n’empêche donc pas la création d’autres emplois.
Destruction créatrice et ère de l’emploi robotisé
Le concept de destruction créatrice a été mis au point par l’économiste austro-hongrois Joseph Schumpeter en 1942. Celui-ci considère que le progrès technique est le centre même de l’économie et que chaque innovation importante en entraîne nécessairement une série d’autres, qui visent à adapter nos modes de fonctionnement et de production à la nouvelle donne. Néanmoins, inévitablement, certaines fonctions anciennes sont abandonnées, et certaines entreprises ont du mal à suivre. Ainsi, Schumpeter identifie un cycle : création (innovation technique), destruction (obsolescence de certains postes), restructuration (création de nouveaux emplois plus adaptés aux nouveaux mode de production).
Pour Schumpeter, ce système se révèle dans toutes les grandes innovations, et ce depuis les premières révolutions industrielles. A chaque fois, certains emplois deviennent inutiles et sont, simplement, remplacés par la machine, mais d’autres emplois deviennent alors nécessaires – de la création et l’amélioration de ces machines jusqu’à leur utilisation ou leur entretien.
Aujourd’hui, on est clairement face à l’une de ces innovations révolutionnaires et l’on s’apprête à entrer dans une nouvelle ère de l’emploi liée à la robotique. L’automatisation va transformer le monde de l’entreprise et entraînera, comme ce fût le cas lors de l’arrivée du charbon ou de l’électricité, une révision de notre façon de penser le travail, l’embauche et la formation continue.
Les robots parmi nous
Un des éléments déjà présents de cette révolution est l’arrivée de robots travaillant avec les humains. On les appelle les Cobots. Ce sont des robots coopératifs, qui ont pour fonction d’assister les travailleurs en automatisant une part de leurs tâches. Ils ont deux intérêts évidents : gain de temps et amélioration des performances et de la précision.
On les utilise déjà en médecine, où ils prolongent le bras du chirurgien et lui offrent une précision de geste maximisée. On les trouve dans l’industrie, où ils permettent de démultiplier la force d’un travailleur, tout en augmentant sa sécurité dans la manipulation de matériaux dangereux. On commence également à introduire des exosquelettes que certains travailleurs peuvent porter pour réduire la pénibilité musculaire du travail (avec une meilleure répartition des forces sur le corps).
Néanmoins, pas besoin d’aller chercher des exemples si complexes : quand vous programmez une application pour qu’elle gère vos données, quand votre ordinateur vous suggère des fichiers à mettre à la corbeille pour récupérer de la mémoire, quand vous demandez à Siri d’effectuer des actions pour vous, vous êtes déjà en train de collaborer avec un robot. Et c’est là que réside la nouveauté : les robots ne serviront bientôt plus seulement à apporter une aide mécanique sur des tâches complexes ; ils travailleront avec nous, grâce à des capacités relationnelles.
Ainsi en 2005, le robot PARO, développé aux USA, a été commercialisé au Japon. Il prend la forme d’un bébé phoque en peluche qui peut interagir non-verbalement avec les humains. Il est déjà utilisé dans des maisons de retraite comme aide thérapeutique pour les malades atteints d’Alzheimer. En réagissant de façon autonome aux actions des malades, une fois placé dans leur bras, il réduit leur anxiété ou leur agressivité. Et en cela, il collabore avec le personnel soignant, et contribue à améliorer leurs conditions de travail.
Les limites de la robotique
Des robots qui agissent, des robots qui interagissent, des robots qui parlent… Que reste-t-il aux humains qui leur soit encore propre ? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, beaucoup !
Aujourd’hui, il reste de nombreux domaines dans lesquels les robots ne peuvent être utilisés. Pourquoi ? Simplement parce qu’on ne peut pas tout faire effectuer de façon programmée à un robot, très loin de là ! Ainsi, une étude réalisée par France Stratégie, et rendue publique en juillet 2016, nuance l’impact de la robotisation sur les emplois. Cela s’explique par l’évolution des métiers aux travers des décennies : l’automatisation de l’industrie est assez avancée pour avoir déjà éliminé, durant les trente dernières années, une bonne partie des tâches mécaniques répétitives.
Ainsi, on pourra citer l’exemple de l’Allemagne, dont l’industrie automobile est une des plus robotisées au monde. Cette industrie employait en 2015 plus de 800 000 salariés, soit autant qu’en 2005… et 100 000 de plus qu’il y a 20 ans.
L’étude avance aussi l’exemple simple des banques où « 61 % des employés déclarent occuper un emploi nécessitant une réponse immédiate à une demande extérieure et ne devant pas toujours appliquer des consignes strictes, contre 35 % en 2005« . Conclusion : moins les emplois se limitent à l’application précise de directives strictes, moins ils sont menacées par la robotisation.
Un monde du travail restructuré
On comprend donc bien que le véritable challenge aujourd’hui ne se trouve pas dans la sauvegarde des emplois face aux robots, mais dans une refonte du monde de l’entreprise pour qu’il s’adapte à ces nouvelles technologies. En effet, l’existence d’emplois non-automatisables découle déjà de l’évolution naturelle du monde du travail. Pour que demain, nous vivions la robolution sereinement, cette évolution doit être encouragée et poursuivie.
Depuis quelques années, on voit déjà une transformation managériale cruciale, avec une concentration plus importante sur les projets que mène l’entreprise. Cette transformation entraîne une restructuration des organigrammes : moins de division hiérarchique, moins de limitation des tâches selon des fiches de poste prescriptives… Et au final, une entreprise qui favorise la prise de décision individuelle, l’improvisation et l’exploitation de toutes les ressources professionnelles de ses salariés.
Il y a fort à parier que c’est ce modèle d’entreprise qui sera le plus à même de s’adapter à l’arrivée des intelligences artificielles et à les exploiter de manière fluide et productive. Aujourd’hui n’importe quel robot peut effectuer une série de tâches répétitives de façon plus précise qu’un humain. Raison de plus pour ne plus demander cela à un employé et à lui faire exploiter des capacités (d’adaptation, d’innovation, d’improvisation) bien plus… humaines !
source : L’effet de l’automatisation sur l’emploi : ce qu’on sait et ce qu’on ignore
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