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Long-format | Brett Adcock : l’homme qui révolutionne la robotique et l’IA avec Figure

FigureLe fondateur et PDG de Figure, Brett Adcock. Crédit photo : Cody Pickens pour Forbes

Brett Adcock demande au robot humanoïde qui se tient derrière une table à proximité : « Figure 01, pourrais-tu me choisir un en-cas sain dans ce panier ? » Le robot, nommé Figure 01, saisit l’orange avec ses mains habiles, semblables à celles d’un humain, et la tend à l’entrepreneur américain, écartant ainsi le paquet de chips.

Un article de Kerry A. Dolan et Amy Feldman pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Il demande également au robot de quelle couleur est la chemise qu’il porte. Le robot marque une pause de 30 secondes et répond d’une voix lente et grave : « Tu portes une chemise de couleur foncée ». La réponse est correcte, même si elle n’est pas très précise.

M. Adcock, âgé de 38 ans, est le fondateur et PDG du fabricant de robots Figure. Il est très enthousiaste à propos de son robot, et à juste titre. En janvier, l’entreprise a annoncé une collaboration avec BMW, dans le but de faire travailler les robots de Figure dans l’usine de fabrication du constructeur automobile allemand à Spartanburg, en Caroline du Sud. Six semaines plus tard, Figure a levé 675 millions de dollars (633,5 millions d’euros) à une valeur de 2,6 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros) auprès de Jeff Bezos et de sociétés telles que Microsoft, Nvidia, OpenAI Startup Fund. Parallèlement, Figure a signé un accord de collaboration avec OpenAI pour développer des modèles d’IA de nouvelle génération pour les robots humanoïdes.

Cette évaluation fait de M. Adcock, qui détient environ 50 % de la société de Sunnyvale, en Californie, un nouveau milliardaire. Avec sa participation dans Figure et les actions d’une précédente entreprise, la valeur de sa fortune est estimée à 1,4 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros).

 

Figure : à la pointe de la révolution robotique

L’entreprise aspire à un avenir futuriste, où chaque être humain aura son propre robot humanoïde, voire deux, capables d’accomplir diverses tâches domestiques telles que faire la lessive, le café, ou encore préparer le dîner. Selon son fondateur, ce projet sera très rentable. « Avec le temps, cette entreprise deviendra l’une des plus importantes au monde », affirme M. Adcock. « L’objectif est de généraliser le remplacement du travail humain. »

Avant d’en arriver là, l’entreprise, qui est en activité depuis deux ans, doit surmonter de nombreux défis. La marche, par exemple, est encore en cours de développement, comme l’a constaté Forbes lors d’une récente visite dans les bureaux de Figure. Figure 01 a besoin d’environ cinq minutes d’échauffement, attaché à une poutre aérienne, avant de se promener dans un espace ouvert au milieu des bureaux de Figure. Cependant, les choses ne se passent pas comme prévu. Pendant l’échauffement, l’humanoïde rencontre un problème mécanique à la hanche. Sa jambe droite oscille de manière incontrôlable à un angle étrange. Après quelques minutes supplémentaires et une correction logicielle rapide, deux employés de Figure parviennent à résoudre le problème. Ils retirent l’attache et Figure 01 commence alors à marcher de manière autonome, les pièces métalliques s’entrechoquant à chaque pas.

Les robots ont considérablement évolué ces dernières décennies. Ils sont désormais largement utilisés pour des tâches telles que l’assemblage automobile et la manipulation de marchandises dans les entrepôts. Certains sont même employés pour collecter et diffuser des données sur les chantiers de construction. Une tendance récente est le regain d’intérêt pour les robots humanoïdes dotés d’intelligence artificielle, capables d’exécuter une gamme variée de tâches (contrairement aux simples bras robotiques utilisés pour préparer des cocktails) et d’en apprendre de nouvelles.

Un grand nombre d’entreprises travaillent sur ces créations bipèdes. Tesla, par exemple, développe un robot appelé Optimus, qui devrait être utilisé dans l’assemblage automobile. (Après que M. Adcock a tweeté sur la levée de fonds de Figure fin février sur la plateforme de médias sociaux X, le patron de Tesla, Elon Musk, a exprimé son intérêt pour cette avancée technologique). Il existe une société basée dans l’Oregon, Agility Robotics, et une société norvégienne, 1X, qui est soutenue en partie par OpenAI et a levé 100 millions de dollars (93,8 millions d’euros) en janvier. Parmi les autres, on peut citer Apptronik, basée à Austin (Texas), qui a signé en mars un accord avec Mercedes Benz pour ses robots. Lorsque Nvidia, le géant des puces d’IA, a dévoilé une nouvelle initiative visant à collaborer avec les fabricants de robots, presque tous les robots présentés étaient des humanoïdes.

 

Les défis et les espoirs de Figure dans la commercialisation des robots humanoïdes

Le principal avantage d’un robot humanoïde est évident : le monde dans lequel nous vivons a été conçu pour les humains. « Si l’on peut disposer d’un robot humanoïde sûr, capable de travailler aux côtés des gens, le marché est tout simplement exceptionnel », déclare Jesse Coors-Blankenship, membre du conseil d’administration de Figure, qui est soutenu par son Parkway Venture Capital. Nathalie Bauters, porte-parole de BMW, explique : « Depuis deux ans, nous étudions la possibilité d’utiliser des robots humanoïdes mobiles dans un nombre limité de domaines où les processus sont délicats, ennuyeux (répétitifs) et peu sûrs. La collaboration avec Figure permet d’atteindre cet objectif. »

À quelle échéance les robots de Figure seront-ils déployés chez BMW et d’autres clients potentiels ? Avec seulement trois robots opérationnels chez Figure pour le moment, M. Adcock avance un calendrier très ambitieux. Il prévoit que ses robots seront opérationnels dans l’usine BMW de Spartanburg dans les « 12 à 18 prochains mois, peut-être en faibles volumes ». Mme Bauters, de BMW, ajoute : « Dans un premier temps, nous allons nous concentrer sur l’amélioration de la qualité des produits. Nous débuterons par l’intégration d’un robot Figure pour l’évaluation technique. »

L’apprentissage de nouvelles tâches par les robots n’est pas automatique. Pour apprendre à Figure 01 à ramasser cette orange, les ingénieurs, qui utilisent des suiveurs optiques et des caméras vidéo, doivent répéter l’action avec le robot au moins 50 fois. L’apprentissage de multiples étapes interconnectées pour le travail à la chaîne pourrait prendre un certain temps.

Ash Sharma, chercheur en robotique au sein de la société d’études de marché Interact Analysis, basée au Royaume-Uni, estime qu’il faudra plutôt cinq à six ans avant que Figure puisse commercialiser ses humanoïdes. L’un des principaux problèmes est de réduire suffisamment le coût de fabrication des robots pour qu’ils puissent être utilisés dans les entrepôts et les usines. M. Adcock ne dira pas combien il a dépensé pour produire les premiers robots de Figure, mais son objectif est de ramener les coûts de production à 50 000 dollars (46 890 euros) par robot.

 

De Vettery à Archer Aviation : l’épopée entrepreneuriale de Brett Adcock

Brett Adcock a suivi un parcours atypique pour aboutir à son ambition ultra-compétitive actuelle. Aîné de deux frères, il a grandi dans une ferme de maïs et de soja tenue par ses parents, agriculteurs de troisième génération, à Moweaqua, dans l’Illinois, un village de 1 700 habitants situé à environ quarante kilomètres de la capitale de l’État. Après avoir obtenu un diplôme en commerce à l’université de Floride, il a déménagé à New York, où il a travaillé pour un fonds spéculatif appelé Cedar Capital Partners. En 2012, avec un autre diplômé de l’université de Floride, Adam Goldstein, il a fondé Vettery, une plateforme de recrutement en ligne axée sur les secteurs de la finance et de l’informatique. Ils ont vendu l’entreprise au géant du recrutement Adecco Group en 2018 pour 110 millions de dollars (103 millions d’euros). Brett Adcock est parti avec une somme estimée à 30 millions de dollars (28 millions d’euros), avant impôts.

Goldstein et Adcock ont ensuite plongé dans le monde de l’aviation électrique, lançant une société de taxis aériens électriques appelée Archer Aviation en 2018, bien qu’ils n’aient aucune expérience dans le développement de matériel. Ils ont levé des fonds auprès d’investisseurs, dont Marc Lore, qui avait vendu sa société de commerce électronique Jet.com à Walmart. Les cofondateurs ont offert des salaires élevés pour attirer les meilleurs talents. En l’espace de trois ans, l’entreprise a dévoilé son premier prototype de taxi aérien biplace. Début 2021, United Airlines a passé une commande d’un milliard de dollars pour 200 taxis aériens d’Archer qui n’ont pas encore volé. En septembre de la même année, Adcock et Goldstein ont introduit Archer Aviation en bourse via une fusion avec une société d’acquisition à vocation spécifique (SPAC). Sept mois plus tard, M. Adcock a brusquement démissionné de son poste de co-PDG et a quitté l’entreprise. Les anciens cofondateurs ne travaillent plus ensemble et ne souhaitent pas parler de leur relation. Un porte-parole d’Archer Aviation s’est refusé à tout commentaire. Louise Bristow, ancienne responsable du marketing et de la communication chez Archer Aviation, a déclaré : « C’était une décision du conseil d’administration. C’est tout ce que je peux dire ».

Il semblerait que M. Adcock ait tendance à exagérer. « Chez Archer, j’ai construit cinq générations d’avions en partant de zéro », se vante-t-il. Mais la construction d’un avion est un travail d’équipe, pas une affaire de solitaire. De plus, Archer n’a pas encore cinq générations d’avions. Il affirme également avoir fondé et financé le laboratoire eVTOL (aéronefs à décollage et atterrissage verticaux électriques) d’Archer Aviation à l’université de Floride. « J’ai fondé ce laboratoire », affirme-t-il. « J’ai financé une subvention personnelle à l’école. » En réalité, le laboratoire a été fondé par Peter Ifju, professeur d’ingénierie aéronautique à l’université de Floride, en 2021, avec un financement d’Archer Aviation et d’un ancien associé de Goldman Sachs qui conseillait Archer, précise M. Ifju. « Archer n’aurait probablement jamais vu le jour sans nous », ajoute M. Ifju, expliquant que son laboratoire a construit les premiers prototypes à petite échelle et à demi-échelle pour Archer. En réponse, M. Adcock admet qu’il s’agit du laboratoire de M. Ifju, déclarant : « La majorité du financement provient d’Archer. Quand je dis « je », je parle de moi en tant que fondateur d’Archer ». Il a également donné de l’argent à l’université pour le laboratoire.

Pour lancer Figure, M. Adcock a travaillé dans un WeWork à Palo Alto, en contactant toutes sortes de personnes dans le domaine de la robotique. « Brett nous a fait part de son intention : « Je vais mener le processus de sélection pour la NFL, mais cette fois-ci pour les talents humanoïdes » », raconte John McCormick, dont la société de capital-risque Tamarack Global a investi dans Archer et Figure. En août 2022, il avait embauché huit employés. Aujourd’hui, ils sont 90, recrutés dans des entreprises telles que Boston Dynamics, Google DeepMind, Tesla et le groupe secret des projets spéciaux d’Apple.

Il semble que M. Adcock ait utilisé son expérience chez Archer pour se familiariser avec la robotique. « Les taxis aériens d’Archer comportent des batteries, des moteurs, des logiciels intégrés et des systèmes de contrôle », explique-t-il.

 

Figure : une valorisation record dans le secteur de la robotique

Au début, l’entrepreneur a autofinancé la société ; il ne veut pas divulguer le montant qu’il a investi, mais certaines sources affirment qu’il s’élevait à environ 20 millions de dollars (18,7 millions d’euros). En plus de sa rémunération chez Vettery, il a vendu pour au moins 70 millions de dollars (65,7 millions d’euros) d’actions d’Archer Aviation. En mars 2023, Figure a levé 70 millions de dollars auprès d’investisseurs dans le cadre d’un tour de table dirigé par Parkway Venture Capital et auquel participait Intel Capital.

Pour sa levée de fonds de 675 millions de dollars (634 millions d’euros) en février, le réseau de Brett Adcock a été un atout précieux. « OpenAI a contacté Figure pour investir », explique M. Adcock, qui s’est lié d’amitié avec le PDG d’OpenAI, Sam Altman. « J’ai développé une relation étroite avec Sam. Il voulait se lancer dans la robotique et il est venu me dire : « Vous avez l’une des meilleures équipes au monde » », confie-t-il. OpenAI n’a pas répondu à une demande de commentaire, mais son vice-président chargé des produits, Peter Welinder, a déclaré dans le communiqué de presse relatif au financement : « Nous sommes époustouflés par les progrès réalisés par Figure jusqu’à présent ».

M. Adcock raconte qu’il a envoyé un e-mail assez froid au PDG de Nvidia, Jensen Huang, et que cela a donné des résultats positifs : « C’était génial. Nous sommes restés en contact pendant plus d’un an ». Jesse Coors-Blankenship, membre du conseil d’administration de Figure, ajoute : « C’est Sam Altman qui a travaillé avec Brett pour rassembler toutes les parties impliquées, y compris Microsoft, pour la levée de fonds de février ».

Ces 675 millions de dollars dépassent de loin les levées de fonds réalisées par les concurrents de Figure. À titre d’exemple, Agility Robotics, fondée en 2015, a levé 180 millions de dollars (169 millions d’euros) jusqu’à présent. 1X a obtenu 140 millions de dollars (131 millions d’euros), tandis qu’Apptronik n’a levé que 29 millions de dollars (27 millions d’euros). Selon M. Sharma, d’Interact Analysis, l’évaluation de Figure est « impressionnante », d’autant plus que l’industrie de la robotique humanoïde est encore à ses balbutiements.

Avec ces fonds considérables à sa disposition, Brett Adcock poursuit ses efforts de recrutement. Au début du mois d’avril, Figure prévoit d’engager une trentaine de nouveaux employés, couvrant des domaines allant de la gestion de la chaîne d’approvisionnement mondiale aux commandes des moteurs.

Même avec d’énormes ressources financières, le succès reste incertain. Depuis des siècles, des esprits visionnaires et des artisans ont tenté de créer des automates ressemblant à des humains : dès les années 1100, un ingénieur islamique du nom d’Ismail al-Jazari concevait des serveurs mécaniques ; près de 700 ans plus tard, des rapports (potentiellement peu fiables) évoquent un Allemand, le Dr Lube, qui aurait construit un automate appelé M. Einsenbrass, capable de parler et de se tenir debout, alimenté par des électro-aimants et des piles. Bien que la technologie du 21e siècle ait fait d’immenses progrès par rapport à ces premiers essais, elle pourrait encore ne pas suffire.

 


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